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de la préméditation, trop de philosophie. Béranger est sérieux, point naïf, souvent tendu et forcé, jamais aviné. Il serait demeuré un poëte médiocre, si les circonstances où il vécut ne lui avaient fait trouver une autre veine.

Pour le fond, il n’a pas plus d’invention et d’initiative.

D’abord, il chante l’amour grivois, et rétrograde de Rousseau à Brantôme et à Boccace. Rarement il s’élève jusqu’au sentiment et à l’idéal ; et toute cette partie de son œuvre serait à dédaigner, si, par la vivacité des tableaux et le mordant de la vérité, sa chanson, licencieuse de pensée et de fait, n’était devenue une satire d’un genre supérieur à celui d’Horace et de Juvénal. Ma Grand’Mère est une de ces pièces incomparables, dont je doute que le poëte ait eu lui-même la conscience, et qui n’a de modèle en aucune langue.

Dans ses chansons politiques, Béranger n’est que l’écho des passions de son temps : il grandit avec l’opposition libérale ; il monte avec les souvenirs, avec les conspirations bonapartistes.

Que fait-il en 1810 et 1811, quand le despotisme impérial, parvenu à son apogée, a fait taire la Révolution ? Chante-t-il la Liberté et la République ? Non : il est tout entier à Comus, Bacchus, Vénus ; il attendra les Bourbons et la Charte.

Que fait-il encore, de 1812 à 1815, quand la France est écrasée sous les désastres, et que les armées étrangères ont établi leur quartier général à Paris ? Il chante des gaudrioles, le Roi d’Yvetot, le Sénateur, Roger Bontemps, les Gueux, la Grande Orgie, etc., etc. Ce ne sont pas les Gaulois et les Francs, ni le Bon Français, ni la Requête des Chiens de qualité, ni l’Opinion de ces demoiselles, qui peuvent racheter cet étrange oubli du poëte patriote. Certes, on n’était pas trop malheureux en France, on riait, on chantait, on dansait, on s’amusait, durant ces affreuses invasions, s’il faut s’en rapporter au répertoire de Béranger. Ce n’est que plus tard, au retentissement de la tribune, à la voix des députés libéraux, de Manuel, de Benjamin Constant, de Foy, quand l’ennemi a évacué la France, que le rouge monte au visage du poëte et qu’il prend son élan. Le Marquis de Carabas, Mon âme, sont de 1816 ; la Vivandière