Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/614

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dieux incarnés, des messies, des apôtres, des thaumaturges et des pontifes ; nous ne sommes ni académiciens, ni processeurs, ni bibliothécaires : nous voulons des moralistes de notre bord et qui parlent comme nous. Toi qui as étudié, dis-nous ce qui en est, et ne t’en fais pas accroire. Que penses-tu ? Narre. »

Et j’ai entrepris cette rude tâche. J’ai pris pour modèle le paysan du Danube parlant au sénat de Rome ; je me suis mis en esprit devant l’Église, avec ma blouse d’ouvrier, mes sabots de paysan, ma plume de journaliste ; et je n’ai plus songé qu’à frapper juste et fort. On ne traite qu’avec les forts, a dit M. Guizot. Vous ne connaissiez pas notre force, Monseigneur ; vous ne saviez pas quelle puissance de vie, de génie, est en nous. Ces Études, telles quelles, vous en donneront peut-être une idée.

Daignez donc, Monseigneur, entendre mes dernières paroles. Ne vous éloignez pas de nous : ce serait déshonorer l’Église, et vous vous feriez cent fois plus de mal qu’à nous-mêmes.

I. Aussi haut que remontent les souvenirs du genre humain, soixante siècles par delà la guerre de Troie, d’après une tradition recueillie dans les temples par d’anciens écrivains, nous voyons la Religion servir de figure à la Justice ; elle tient lieu de science morale, supplée par la poésie du culte ce que la Raison pratique des peuples est incapable de définir, et cette figure, cette poésie, expression de la conscience primitive, est encore aujourd’hui et sera pendant bien des siècles après nous l’étude la plus attrayante du philosophe.

Qu’est-ce que cette adoration, relligio, d’un Être souverain, sinon une représentation de la Justice, c’est-à-dire du respect de l’humanité ? Dieu est tout à la fois, d’un côté, la nature humaine élevée à l’infini et idéalisée ; de l’autre, le concept, nullement absurde bien qu’indémon-