Page:Proudhon - Du Principe fédératif.djvu/79

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traire, qu’il les mettrait en opposition avec le pacte fédéral ; qu’en conséquence il leur faudrait abandonner quelque chose de leur souveraineté, et reconnaître au-dessus d’eux, au moins pour certains cas, un arbitre. Leur nature est de commander, non de transiger ni d’obéir. Les princes qui, en 1813, soutenus par l’insurrection des masses, combattaient pour les libertés de l’Europe contre Napoléon, qui plus tard formèrent la Sainte-Alliance, n’étaient pas des confédérés l’absolutisme de leur pouvoir leur défendait d’en prendre le titre. C’étaient, comme en 92, des coalisés ; l’histoire ne leur donnera pas d’autre nom. Il n’en est pas de même de la Confédération germanique, présentement en travail de réforme, et dont le caractère de liberté et de nationalité menace de faire disparaître un jour les dynasties qui lui font obstacle[1].

  1. Le droit public fédératif soulève plusieurs questions difficiles. Par exemple, un État à esclaves peut-il faire partie d’une confédération ? Il semble que non, pas plus qu’un État absolutiste : l’esclavage d’une partie de la nation étant la négation même du principe fédératif. Sous ce rapport, les États-Unis du Sud seraient d’autant mieux fondés à demander la séparation qu’il n’entre pas dans l’intention de ceux du Nord d’accorder, au moins de sitôt, aux Noirs émancipés, la jouissance des droits politiques. Cependant nous voyons que Washington, Madison et les autres fondateurs de l’Union n’ont pas été de cet avis ; ils ont admis au pacte fédéral les États à esclaves. Il est vrai aussi que nous voyons en ce moment ce pacte contre nature se déchirer, et les États du Sud, pour conserver leur exploitation, tendre à une constitution unitaire, pendant que ceux du Nord, pour maintenir l’union, décrètent la déportation des esclaves.
    …...La constitution fédérale Suisse, réformée en 1848, a décidé la question dans le sens de l’égalité son article 4 porte : « Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n’y a en Suisse ni sujets, ni priviléges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles. » De la promulgation de cet article, qui a purgé la Suisse de tout élément aristocratique, date la vraie constitution fédérale helvétique.
    …...En cas d’opposition entre les intérêts, la majorité confédérée peut-elle opposer à la minorité séparatiste l’indissolubilité du pacte ? La négative a été soutenue en 1846 par le Sunderbund contre la majorité helvétique ; elle l’est aujourd’hui par les confédérés du Sud de l’Union américaine contre les fédéraux du Nord. Pour moi, je crois que la séparation est de plein droit, s’il s’agit d’une question de souveraineté cantonale laissée en dehors du pacte fédéral. Ainsi il ne m’est pas démontré que la majorité suisse ait puisé son droit contre le Sunderbund dans le pacte : la preuve, c’est qu’en 1848 la constitution fédérale a été réformée, précisément en vue du litige qui avait amené la formation du Sunderbund. Mais il peut arriver, par des considérations de commodo et incommodo, que les prétentions de la minorité soient incompatibles avec les besoins de la majorité, que de plus la scission compromette la liberté des États ; dans ce cas la question se résout par le droit de la guerre, ce qui veut dire que la partie la plus considérable, celle dont la ruine entraînerait le plus grand dommage, doit l’emporter sur la plus faible. C’est ce qui a eu lieu en Suisse et qui pourrait également se pratiquer aux États-Unis, si, aux États-Unis comme en Suisse, il ne s’agissait que d’une interprétation ou d’une application meilleure des principes du pacte, comme d’élever progressivement la condition des Noirs au niveau de celle des Blancs. Malheureusement le message de M. Lincoln ne laisse aucun doute à ce sujet. Le Nord pas plus que le Sud n’entend parler d’une émancipation véritable, ce qui rend la difficulté insoluble, même par la guerre, et menace d’anéantir la confédération.
    …...Dans la monarchie, toute justice émane du roi  : dans une confédération, elle émane, pour chaque État, exclusivement de ses citoyens. L’institution d’une haute cour fédérale serait donc, en principe, une dérogation au pacte. Il en serait de même d’une Cour de cassation, puisque, chaque État étant souverain et législateur, les législations ne sont pas uniformes. Toutefois, comme il existe des intérêts fédéraux et des affaires fédérales ; comme il peut être commis des délits et des crimes contre la confédération, il y a, pour ces cas particuliers, des tribunaux fédéraux et une justice fédérale.