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QUESTION GÉNÉRALE SOULEVÉE

tinée est même, au dire des plus profonds critiques, ce qui distingue essentiellement le génie des arts ; à telles enseignes qu’en devenant penseur, on cesse, selon eux, d’être artiste, et que, si l’on veut se faire une idée théorique de l’art, en déterminer la fonction, en juger les œuvres et le ramener lui-même au sens commun, on approchera d’autant plus de la vérité qu’on aura l’imagination moins troublée par les illusions de l’art. Telle est aussi mon opinion ; et si vous prenez la peine de lire ce qui suit, ami lecteur, j’ose espérer, sans trop présumer de vous ni vous faire injure, que vous vous joindrez à mon sentiment.

C’est donc à nous profanes, gens de travail servile et de sèche analyse, à faire le décompte de l’art et à régler la position des artistes : il le faut bien, puisque l’art les jette sans cesse hors la raison pratique, puisque, malgré la richesse de leur imagination et le luxe de leur faconde, malgré leur colossale vanité, ils sont hors d’état de répondre pour eux-mêmes et de justifier leurs œuvres.

Je ne sais rien, par étude ou apprentissage, de la peinture, pas plus que de la sculpture et de la musique. J’en ai toujours aimé les productions, comme tout barbare aime ce qui lui semble beau, ce qui brille, qui flatte son imagination, son cœur et ses sens, comme les enfants aiment les estampes. Je les aime davantage depuis que je me suis avisé, il n’y a pas longtemps de