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ÉVOLUTION HISTORIQUE

Évidemment, jusqu’à la naissance de la nouvelle école, l’art n’avait pas compris sa mission avec cette netteté et cette hauteur ; il ne se connaissait nullement comme auxiliaire et complément de la raison : il n’affectait point ce rôle éducateur ; loin de là : il se faisait fort d’embellir et de glorifier l’immoralité même, se posant en critère des mœurs-et des croyances, et affectant les prérogatives de l’absolu. C’est ainsi que la faculté esthétique, se dépravant par l’idolâtrie, était devenue pour l’homme le principe du péché, et pour la société un ferment de dissolution.

Maintenant cette corruption spontanée de l’art, et, par l’art, de la morale publique et privée, n’est plus possible. L’art, devenu rationnel et raisonneur, critique et justicier, marchant de pair avec la philosophie positive, la politique positive, la métaphysique positive, ne faisant plus profession d’indifférence, ni en matière de foi, ni en matière de gouvernement, ni en matière de morale, subordonnant l’idéalisme à la raison, ne peut plus être un fauteur de tyrannie, de prostitution et de paupérisme. Art d’observation, non plus seulement d’inspiration, il mentirait à lui-même, et de propos délibéré se détruirait, ce qui est impossible. L’artiste peut se vendre ; pendant longtemps encore la peinture et la statuaire, comme le roman et le drame, auront leurs infâmes : l’art est désormais incorruptible.