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OU DE LA FACULTÉ ESTHÉTIQUE

des beautés sans égales ; les objets les plus dégoûtants se transforment en monuments de luxe et d’orgueil : nos paysans savent ce qu’un fumier bien troussé devant une ferme indique chez les demoiselles de la maison de coquetterie et de bravoure. Tel est le fait dans sa nudité ; il s’agit de savoir ce qu’il contient. Essayons-en l’analyse.

Je trouve dans cette faculté d’art, dans ce soin continuel qu’a l’homme de relever sa personne et tout ce qui s’y rapporte par des ornements tantôt empruntés à la nature, tantôt fabriqués de ses mains, trois choses. La première est un certain sentiment, une vibration ou résonnance de l’âme, à l’aspect de certaines choses ou plutôt de certaines apparences réputées par elle belles ou horribles, sublimes ou ignobles. C’est ce qu’indique le mot esthétique, du grec aïsthêsis, féminin, qui veut dire sensibilité ou sentiment. La faculté de sentir donc (sous-entendez la beauté ou la laideur, le sublime ou le bas, l’heur ou le malheur), de saisir une pensée, un sentiment dans une forme, d’être joyeux ou triste sans cause réelle, à la simple vue d’une image, voilà quel est en nous le principe ou la cause première de l’art.. En cela consiste ce que j’appellerai la puissance d’invention de l’artiste ; son talent (d’exécution) consistera à faire passer dans l’âme des autres le sentiment qu’il éprouve.

Cette cause première, fondamentale de l’art en en-