Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/30

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les anomalies et les accidents serviront à faire mieux ressortir la pensée historique, l’ordre.

Ainsi le système social, dans sa vérité et son intégralité, ne peut exister à tel jour et dans telle partie du globe : il ne peut nous être révélé qu’à la fin des temps, il ne sera connu que du dernier mortel. Pour nous, qui tenons le milieu des générations, nous ne pouvons nous le représenter que sur des conjectures de plus en plus approximatives ; la seule chose qui nous ait été dévolue, dans cette philosophie de l’humanité progressive, c’est, d’après la saine intelligence de notre passé, de préparer sans cesse notre avenir. Nos pères nous ont transmis de la Société une forme particulière ; nous en transmettrons une autre à nos neveux : là se borne notre science, si c’en est une ; là se réduit l’exercice de notre liberté. C’est donc sur nous-mêmes que nous devons agir, si nous voulons influer sur la destinée du monde ; c’est le passé de nos aïeux que nous avons à exploiter, en réservant l’avenir de nos descendants.

Or, puisque l’humanité est progressive, et qu’elle n’agit que sur des souvenirs et des prévisions, elle se divise naturellement en deux grandes classes : l’une qui, plus touchée de l’expérience des anciens, répugne à marcher en avant dans les incertitudes de l’inconnu ; l’autre qui, impatiente du mal présent, incline davantage aux réformes. Tenir un compte égal, soit des traditions, soit des hypothèses, et s’avancer d’un pas certain dans la route du progrès, est chose impossible à la raison des premiers âges, naturellement exclusive. Nous ne serions pas hommes, si dès l’abord nous jugions les choses avec cette simultanéité d’aperception qui est le propre de la science. La condition première de notre éducation, c’est donc la discorde. Or, puisque déjà nous apercevons la cause de nos discussions, nous pouvons légitimement espérer, sans exorcisme et sans magie, de bannir la discorde d’au milieu de nous : la Foi, quand elle se mêle