Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/367

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Oui, il y a deux Frances dans la France actuelle. Il y a la France du passé, qui se sait elle-même, et, royaliste ou démocratique, religieuse ou philosophe, vit dans ses traditions, s’y attache avec désespoir, proteste contre une révolution sans analogue ; et la France de l’avenir, qui ne se sait pas encore, qui se cherche, qui déjà, dans toutes ses aspirations et ses vues, se sent en opposition avec l’ancienne. Le conflit est là. Tous tant que nous vivons, dévots et sceptiques, royalistes et républicains, en tant que nous raisonnons d’après les idées reçues et les intérêts établis, nous sommes conservateurs ; en tant que nous obéissons à nos instincts secrets, aux forces occultes qui nous pressent, aux désirs d’amélioration générale que les circonstances nous suggèrent, nous sommes révolutionnaires. Du reste, et quant au but final, ces deux Frances n’en font qu’une : le double courant qui nous attire, les uns à gauche, les autres à droite, se résout en un même mouvement, à savoir, la recherche de l’égalité et de la stabilité, en un mot, la pondération économique, par le renoncement à l’éclectisme philosophique et au juste-milieu doctrinaire.

Un dernier coup-d’œil sur l’état de nos traditions et sur le progrès accompli depuis cinquante ans dans cette nouvelle métamorphose, achèvera de nous démontrer que telle est l’inévitable issue où nous pousse le destin de l’humanité et notre propre inclination.


III.


Tradition religieuse.

En 1789, la condition du clergé était manifestement incompatible avec le bien-être et la sécurité de la nation. Le clergé possédait en toute propriété, et franc d’impôts, un tiers des terres ; le ministre de l’Évangile vivait de ses rentes ; le paysan, établi sur les latifundia de l’Église, à qui le prêtre disait, Cher frère ! n’en était que le serf.