Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/66

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posaient, si j’ose ainsi dire, l’armure des consciences : tous n’y trouverez rien qui méritât la considération du chef de l’État, rien qui valût de la part des citoyens la souffrance d’une piqûre, le sacrifice de la plus petite jouissance.

Est-ce le préjugé religieux, la dignité monarchique qui vous arrête ? — Mais, lisez donc Chateaubriand, il n’est pas de royaliste qui ne sourie en pensant à ses rois, pas de chrétien qui croie à l’éternité des peines, et qui ne trouve d’ailleurs que l’ascétisme a fait son temps.

Est-ce la sainteté de la justice, la pureté de la morale ? — Mais il n’y a plus ni morale ni justice ; il n’y a point de certitude du droit et du devoir : le juste et l’injuste sont confondus, indiscernables. Je vous défie de me dire en quoi consiste l’outrage aux mœurs, l’adultère, le parjure, le vol, la banqueroute et l’assassinat ; de me définir l’usure, l’accaparement, la coalition, la concussion, la corruption de fonctionnaires, la fausse monnaie : avec la liberté des feuilletons, des discours, des tableaux, des danses ; avec la liberté du commerce et de l’industrie ; avec l’arbitraire des valeurs et la vénalité des charges ; avec les circonstances atténuantes ; avec la liberté d’association, de circulation, de donation ; avec le travailleur libre et la femme libre ! Non que je veuille, prenez-y garde, inculper la liberté ; je dis seulement que, sous la Charte de 1830, notre liberté, n’ayant ni lest ni boussole, est celle de tous les crimes, et notre ordre social une parfaite dissolution.

Est-ce du moins le respect des formes constitutionnelles, la fidélité aux convictions politiques ? Mais qu’est-ce que la politique, avec le capital pour souverain ? Un spectacle d’ombres chinoises, une danse des morts. Sur quoi, je vous prie, peuvent porter des opinions et des votes ? Sur des questions de justice répartitive et distributive, de morale publique, de police, d’administration, de propriété. Or, allez au fond ; vous trouverez que la libre pensée a tout dis-