Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/192

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au cœur des croyants comme aux recettes du budget ? « Jamais il n’y eut pareille affluence aux églises, disait un prêtre du Jura ; mais jamais aussi l’hypocrisie ne fut plus générale ni l’irréligion plus profonde. » Les mères, dans les grandes villes, envoient leurs filles au catéchisme en maugréant du temps qu’elles y perdent ; elles aspirent après le moment où leurs enfants seront débarrassés de leurs communions. Un curé du département de Seine-et-Marne écrit au journal l’Estafette :

« Ignorez-vous dans quel état malheureux sont tombées les populations des diocèses voisins de Paris ? Ne savez-vous donc pas qu’elles n’ont plus de chrétien que le nom ? Toutes relations entre elles et les curés ont à peu près cessé. La foi de ces derniers n’éclairant plus les âmes, leur ministère n’est, aux yeux du peuple, qu’un vil métier. »

Ainsi ces vieilles puissances du monde que respectaient les révolutions, que les changements de dynasties trouvaient et laissaient debout, comme l’arche sainte à laquelle était attaché le salut d’Israël, ces grandes institutions, qui ont jadis passionné les masses et fait couler le sang pour leurs querelles, n’ont plus de racines dans la société. Le jour où le bras du pouvoir cessera de les soutenir, elles tomberont d’elles-mêmes, sans qu’il se trouve seulement une voix populaire pour prononcer leur oraison funèbre. Les dieux sont partis ; le vieux monde est mort : excessère dii.

La puissance nouvelle, la féodalité boursière a tout envahi, tout remplacé ; elle seule a le privilége de soulever les passions, d’exciter l’enthousiasme et la haine, de faire battre les cœurs, de révéler la vie. C’est pour elle que l’armée veille, que la police fonctionne, que l’Université enseigne, que l’Église prie, que le peuple travaille et sue, que le soleil éclaire, que les moissons mûrissent, que tout pousse et fructifie.

Son esprit envahit l’Europe entière. De toutes parts surgissent des Crédits mobiliers, des coalitions de banquiers, des fusions, des agglomérations de capitaux et d’entreprises à l’image de ce qui se passe chez nous. L’Anglais et l’Amérique déclament contre la machine Pereire : ils la jalousent.