Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/146

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milliers d’industriels différents : pas un travailleur qui ne reçoive de la société tout entière sa consommation, et, avec sa consommation, les moyens de reproduire. Qui oserait dire, en effet : Je produis seul ce que je consomme, je n’ai besoin de qui que ce soit ? Le laboureur, que les anciens économistes regardaient comme le seul vrai producteur ; le laboureur, logé, meublé, vêtu, nourri, secouru par le maçon, le menuisier, le tailleur, le meunier, le boulanger, le boucher, l’épicier, le forgeron, etc., le laboureur, dis-je, peut-il se flatter de produire seul ?

La consommation est donnée à chacun par tout le monde ; la même raison fait que la production de chacun suppose la production de tous. Un produit ne va pas sans un autre produit ; une industrie isolée est une chose impossible. Quelle serait la récolte du laboureur, si d’autres ne fabriquaient pour lui granges, voitures, charrues, habits, etc. ? Que ferait le savant sans le libraire, l’imprimeur sans le fondeur et le mécanicien, ceux-ci à leur tour sans une foule d’autres industriels ?… Ne prolongeons pas cette énumération, trop facile à étendre, de peur qu’on ne nous accuse de donner dans le lieu commun. Toutes les industries se réunissent, par des rapports mutuels, en un faisceau unique ; toutes les productions se servent réciproquement de fin et de moyen ; toutes les variétés de talents ne sont qu’une série de métamorphoses de l’inférieur au supérieur.

Or, ce fait incontestable et incontesté de la participation générale à chaque espèce de produit, a pour résultat de rendre communes toutes les productions particulières : de telle sorte que chaque produit, sortant des mains du producteur, se trouve d’avance frappé d’hypothèque par la société. Le producteur lui-même n’a droit à son produit que pour une fraction dont le dénominateur est égal au nombre des individus dont la société se compose. Il est vrai qu’en revanche, ce même producteur a droit sur tous les produits différents du sien, en sorte que l’action hypothécaire lui est acquise contre tous, de même qu’elle est donnée à tous contre lui ; mais ne voit-on pas que cette réciprocité d’hypothèques, bien loin de permettre la propriété, détruit jusqu’à