Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/189

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si le travail ne peut jamais couvrir la dépense ? Sans l’abolition de la propriété, l’organisation du travail n’est qu’une déception de plus. Quand on quadruplerait la production, ce qu’après tout je ne crois pas impossible, ce serait peine perdue : si le surcroît de produit ne se consomme pas, il est de nulle valeur, et le propriétaire le refuse pour intérêt ; s’il se consomme, tous les inconvénients de la propriété reparaissent. Il faut avouer que la théorie des attractions passionnelles se trouve ici en défaut, et que, pour avoir voulu harmoniser la passion de propriété, passion mauvaise, quoi qu’en dise Fourier, il a jeté une poutre dans les roues de sa charrette.

L’absurdité de l’économie phalanstérienne est si grossière que beaucoup de gens soupçonnent Fourier, malgré toutes ses révérences aux propriétaires, d’avoir été un adversaire caché de la propriété. Cette opinion se peut soutenir par des raisons spécieuses ; toutefois je ne saurais la partager. La part du charlatanisme serait trop grande chez cet homme, et celle de la bonne foi trop petite. J’aime mieux croire à l’ignorance, d’ailleurs avérée, de Fourier, qu’à sa duplicité[1]. Quant à ses disciples, avant qu’on puisse formuler aucune opinion sur leur compte, il est nécessaire qu’ils déclarent une bonne fois, catégoriquement, et sans restriction mentale, s’ils entendent, oui ou non, conserver la propriété, et ce que signifie leur fameuse devise : À chacun selon son capital, son travail et son talent.

II. Mais, observera quelque propriétaire à demi converti, ne serait-il pas possible, en supprimant la banque, les rentes, les fermages, les loyers, toutes les usures, la propriété enfin, de répartir les produits en proportion des capacités ?

  1. Fourier ayant à multiplier un nombre entier par une fraction, ne manquait jamais, dit-on, de trouver un produit beaucoup plus grand que le multiplicande. Il affirmait qu’en harmonie le mercure serait solidifié à une température au-dessus de zéro ; c’est comme s’il eût dit que les harmoniens feraient de la glace brûlante. Je demandais à un phalanstérien de beaucoup d’esprit ce qu’il pensait de cette physique : Je ne sais, me répondit-il, mais je crois. Le même homme ne croyait pas à la présence réelle.