Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/203

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mation sans perte de la propriété : telle est l’inflexible nécessité dans laquelle le jugement de Dieu a placé le propriétaire. Malédiction sur la propriété !

III. Le propriétaire qui, au lieu de consommer son revenu, le capitalise, le tourne contre la production et par là rend l’exercice de son droit impossible. Car plus il augmente la somme des intérêts à payer, plus il est forcé de diminuer les salaires ; or, plus il diminue les salaires, c’est-à-dire plus il retranche sur l’entretien et la réparation des machines, plus il diminue et la quantité de travail, et avec la quantité de travail la quantité de produit, et avec la quantité de produit, la source même des revenus. C’est ce que l’exemple suivant va rendre sensible.

Soit un domaine consistant en terres labourables, prés, vignes, maison de maître et de fermier, et valant, avec tout le matériel d’exploitation, 100,000 fr., d’après estimation faite à 3 pour cent de revenu. Si, au lieu de consommer son revenu, le propriétaire l’appliquait non à l’agrandissement de son domaine, mais à son embellissement, pourrait-il exiger de son fermier 90 fr. de plus chaque année pour les 3,000 fr. qu’il capitaliserait de la sorte ? Évidemment non : car, à de pareilles conditions, le fermier ne produisant pas davantage, serait bientôt obligé de travailler pour rien, que dis-je ? de mettre encore du sien pour tenir à cheptel.

En effet, le revenu ne peut s’accroître que par l’accroissement du fonds productif ; il ne servirait à rien de s’enclore de murailles de marbre, et de labourer avec des charrues d’or. Mais comme il n’est pas possible d’acquérir sans cesse, de joindre domaine à domaine, de continuer ses possessions, comme disaient les Latins, et que cependant il reste toujours au propriétaire de quoi capitaliser, il s’ensuit que l’exercice de son droit devient, à la fin, de toute nécessité impossible.

Eh bien ! malgré cette impossibilité, la propriété capitalise, et en capitalisant multiplie ses intérêts ; et, sans m’arrêter à la foule des exemples particuliers que m’offriraient le commerce, l’industrie manufacturière et la banque, je citerai un fait plus grave et qui touche tous les ci-