Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/207

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pitaux, et la terre, et jusqu’aux travailleurs. Sera-t-il défendu au phalanstère de capitaliser et de placer à intérêt ? Qu’on explique alors ce qu’on entend par propriété ?

Je ne pousserai pas plus loin ces calculs, que chacun peut varier à l’infini, et sur lesquels il serait puéril à moi d’insister ; je demande seulement, lorsque des juges dans un procès au possessoire accordent des intérêts, d’après quelle règle ils les adjugent ? Et, reprenant la question de plus haut, je demande :

Le législateur, en introduisant dans la République le principe de propriété, en a-t-il pesé toutes les conséquences ? a-t-il connu la loi du possible ? s’il l’a connue, pourquoi le Code n’en parle-t-il pas, pourquoi cette latitude effrayante laissée au propriétaire dans l’accroissement de sa propriété et la pétition de ses intérêts ; au juge, dans la reconnaissance et la fixation du domaine de propriété ; à l’État, dans la puissance d’établir sans cesse de nouveaux impôts ? Hors de quelles limites le peuple a-t-il droit de refuser le budget, le fermier son fermage, l’industriel les intérêts de son capital ? jusqu’à quel point l’oisif peut-il exploiter le travailleur ? où commence le droit de spoliation, où finit-il ? quand est-ce que le producteur peut dire au propriétaire : Je ne te dois plus rien ! quand est-ce que la propriété est satisfaite ? quand n’est-il plus permis de voler ?

Si le législateur a connu la loi du possible, et qu’il n’en ait tenu compte, que devient sa justice ? s’il ne l’a pas connue, que devient sa sagesse ? Inique ou imprévoyante, comment reconnaîtrions-nous son autorité ?

Si nos chartes et nos codes n’ont pour principe qu’une hypothèse absurde, qu’enseigne-t-on dans les écoles de droit ? qu’est-ce qu’un arrêt de la cour de cassation ? sur quoi délibèrent nos chambres ? qu’est-ce que politique ? qu’appelons-nous homme d’État ? que signifie jurisprudence ? n’est-ce pas jurisignorance que nous devrions dire ?

Si toutes nos institutions ont pour principe une erreur de calcul, ne s’ensuit-il pas que ces institutions sont autant de mensonges ? et si l’édifice social tout entier est bâti sur cette impossibilité absolue de la propriété, n’est-il pas vrai que le