Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/224

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pable de sentir et d’avoir des idées : de là vient qu’on l’a prise pour un sentiment inné et primordial, opinion fausse, logiquement et chronologiquement. Mais la justice, par sa composition, si j’ose ainsi dire, hybride, la justice, née d’une faculté affective et d’une intellectuelle, me semble une des plus fortes preuves de l’unité et de la simplicité du moi, l’organisme ne pouvant par lui-même produire de tels mélanges, pas plus que du sens de l’ouïe et du sens de la vue il ne se forme un sens binaire, semi-auditif et semi-visuel.

La justice, par sa double nature, nous donne la raison définitive de toutes les démonstrations qu’on a vues aux chapitres II, III et IV. D’une part, l’idée de justice étant identique à celle de société, et la société impliquant nécessairement l’égalité, l’égalité devait se trouver au fond de tous les sophismes inventés pour défendre la propriété ; car la propriété ne pouvant être défendue que comme juste et sociale, et la propriété étant inégalité, pour prouver que la propriété est conforme à la société, il fallait soutenir que l’injuste est juste, que l’inégal est égal, toutes propositions contradictoires. D’autre part, la notion d’égalité, second élément de la justice, nous étant donnée par les proportions mathématiques des choses, la propriété, ou la distribution inégale des biens entre les travailleurs, en détruisant l’équilibre nécessaire du travail, de la production et de la consommation, devait se trouver impossible.

Tous les hommes sont donc associés, tous se doivent la même justice, tous sont égaux ; s’ensuit-il que les préférences de l’amour et de l’amitié soient injustes ?

Ceci demande explication.

Tout à l’heure je supposais le cas d’un homme en danger, et que je serais à même de secourir ; je suppose maintenant que je sois simultanément appelé par deux hommes exposés à périr : m’est-il permis, m’est-il même commandé de courir d’abord à celui qui me touche de plus près par le sang, l’amitié, la reconnaissance ou l’estime, au risque de laisser périr l’autre ? Oui. Et pourquoi ? parce qu’au sein de l’universalité sociale il existe pour chacun de nous autant de so-