Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/240

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à commander, puisque chacun serait à son poste, ils serviraient plutôt de centres de ralliement que d’autorités et de conseils. Il y aurait communauté engrenée, il n’y aurait pas société réfléchie et librement acceptée.

Mais l’homme ne devient habile qu’à force d’observations et d’expériences. Il réfléchit donc, puisque observer, expérimenter, c’est réfléchir ; il raisonne, puisqu’il ne peut pas ne pas raisonner ; et en réfléchissant, il se fait illusion ; en raisonnant, il se trompe, et il croit avoir raison, il s’obstine, il abonde dans son sens, il s’estime lui-même et méprise les autres. Dès lors il s’isole, car il ne pourrait se soumettre à la majorité qu’en faisant abnégation de sa volonté et de sa raison, c’est-à-dire qu’en se reniant lui-même, ce qui est impossible. Et cet isolement, cet égoïsme rationnel, cet individualisme d’opinion enfin, durent aussi longtemps que la vérité ne lui est pas démontrée par l’observation de l’expérience.

Une dernière comparaison rendra tous ces faits encore plus sensibles.

Si tout à coup, à l’instinct aveugle, mais convergent et harmonique d’un essaim d’abeilles, venait se joindre la réflexion et le raisonnement, la petite société ne pourrait subsister. D’abord les abeilles ne manqueraient pas d’essayer de quelque procédé industriel nouveau, par exemple, de faire leurs alvéoles rondes ou carrées. Les systèmes et les inventions iraient leur train, jusqu’à ce qu’une longue pratique, aidée d’une savante géométrie, eût démontré que la figure hexagone est la plus avantageuse. Puis il y aurait des insurrections : on dirait aux bourdons de se pourvoir, aux reines de travailler ; la jalousie se mettrait parmi les ouvrières, les discordes éclateraient, chacun voudrait bientôt produire pour son propre compte, finalement la ruche serait abandonnée et les abeilles périraient. Le mal, comme un serpent caché sous les fleurs, se serait glissé dans la république mellifère par cela même qui devait en faire la gloire, par le raisonnement et la raison.

Ainsi le mal moral, c’est-à-dire, dans la question qui nous occupe, le désordre dans la société s’explique naturel-