Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/247

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raguay, la condition des noirs a paru à tous les voyageurs aussi misérable que celle des esclaves ; et il est de fait que les bons pères étaient obligés de s’enclore de fossés et de murailles pour empêcher leurs néophytes de s’enfuir. Les babouvistes, dirigés par une horreur exaltée de la propriété, plutôt que par une croyance nettement formulée, sont tombés par l’exagération de leurs principes ; les saints-simoniens, cumulant la communauté et l’inégalité, ont passé comme une mascarade. Le plus grand danger auquel la société soit exposée aujourd’hui, c’est de faire encore une fois naufrage contre cet écueil.

Chose singulière ! la communauté systématique, négation réfléchie de la propriété, est conçue sous l’influence directe du préjugé de propriété ; et c’est la propriété qui se retrouve au fond de toutes les théories des communistes.

Les membres d’une communauté, il est vrai, n’ont rien en propre ; mais la communauté est propriétaire, et propriétaire non seulement des biens, mais des personnes et des volontés. C’est d’après ce principe de propriété souveraine que dans toute communauté le travail, qui ne doit être pour l’homme qu’une condition imposée par la nature, devient un commandement humain, par là même odieux ; que l’obéissance passive, inconciliable avec une volonté réfléchissante, est rigoureusement prescrite ; que la fidélité à des règlements toujours défectueux, quelque sages qu’on les suppose, ne souffre aucune réclamation ; que la vie, le talent, toutes les facultés de l’homme sont propriétés de l’État, qui a droit d’en faire, pour l’intérêt général, tel usage qu’il lui plaît ; que les sociétés particulières doivent être sévèrement défendues, malgré toutes les sympathies et antipathies de talents et de caractères, parce que les tolérer serait introduire de petites communautés dans la grande, et par conséquent des propriétés ; que le fort doit faire la tâche du faible, bien que ce devoir soit de bienfaisance, non d’obligation, de conseil, non de précepte ; le diligent, celle du paresseux, bien que ce soit injuste ; l’habile, celle de l’idiot, bien que ce soit absurde : que l’homme enfin dépouillant son moi, sa spontanéité, son génie, ses affections, doit