Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 22 —

Au reste, la définition de la souveraineté dérivait elle-même de la définition de la loi. La loi, disait-on, est l’expression de la volonté du souverain : donc, sous une monarchie la loi est l’expression de la volonté du roi ; dans une république, la loi est l’expression de la volonté du peuple. À part la différence dans le nombre des volontés, les deux systèmes sont parfaitement identiques : de part et d’autre l’erreur est égale, savoir que la loi est l’expression d’une volonté, tandis qu’elle doit être l’expression d’un fait. Pourtant, on suivait de bons guides : on avait pris le citoyen de Genève pour prophète, et le Contrat social pour Alcoran.

La préoccupation et le préjugé se montrent à chaque pas sous la rhétorique des nouveaux législateurs. Le peuple avait souffert d’une multitude d’exclusions et de priviléges ; ses représentants firent pour lui la déclaration suivante : Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi ; déclaration ambiguë et redondante. Les hommes sont égaux par la nature : est-ce à dire qu’ils ont tous même taille, même beauté, même génie, même vertu ? Non : c’est donc l’égalité politique et civile qu’on a voulu désigner. Alors il suffisait de dire : Tous les hommes sont égaux devant la loi.

Mais qu’est-ce que l’égalité devant la loi ? Ni la constitution de 1790 ni celle de 1793, ni la charte octroyée, ni la charte acceptée, n’ont su la définir. Toutes supposent une inégalité de fortunes et de rangs à côté de laquelle il est impossible de trouver l’ombre d’une égalité de droits. À cet égard on peut dire que toutes nos constitutions ont été l’expression fidèle de la volonté populaire : je vais en donner la preuve.

Autrefois le peuple était exclu des emplois civils et militaires : on crut faire merveille en insérant dans la Déclaration des droits cet article ronflant : « Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois ; les peuples libres ne connaissent d’autre motif de préférence dans leurs élections que les vertus et les talents. »

Certes, on dut admirer une si belle chose ; on admira une sottise. Quoi ! le peuple souverain, législateur et réforma-