Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sent donné la consécration ; et, malgré la réforme de 89, nous les voyons se reconstituer sous nos yeux avec une énergie cent fois plus redoutable. Abandonnez le travail à ses propres tendances, et l’asservissement des trois quarts du genre humain est assuré.

Mais ce n’est pas tout. La machine ou l’atelier, après avoir dégradé le travailleur en lui donnant un maître, achève de l’avilir en le faisant déchoir du rang d’artisan à celui de manœuvre.

Autrefois, la population des bords de la Saône et du Rhône se composait en grande partie de mariniers, tous formés à la conduite des bateaux, soit par des chevaux, soit à la rame. À présent que la remorque à vapeur s’est établie sur presque tous les points, les mariniers, ne trouvant pas pour la plupart à vivre de leur état, ou passent les trois quarts de leur vie à chômer, ou bien se font chauffeurs. À défaut de la misère, la dégradation : tel est le pis-aller que font les machines à l’ouvrier. Car il en est d’une machine comme d’une pièce d’artillerie : hors le capitaine, ceux qu’elle occupe sont des servants, des esclaves.

Depuis l’établissement des grandes manufactures une foule de petites industries ont disparu du foyer domestique : croit-on que les ouvrières à 50 et 75 centimes aient autant d’intelligence que leurs aïeules ?

« Après l’établissement du chemin de fer de Paris à Saint-Germain, raconte M. Dunoyer, il s’est établi entre le Pecq et une multitude de localités plus ou moins voisines, un tel nombre d’omnibus et de voitures, que cet établissement, contre toute prévision, a augmenté l’emploi des chevaux dans une proportion considérable. »

Contre toute prévision ! Il n’est qu’un économiste pour ne pas prévoir ces choses-là. Multipliez les machines, vous augmentez le travail pénible et répugnant : cet apophthegme est aussi sûr qu’aucun de ceux qui datent du déluge. Qu’on m’accuse, si l’on veut, de malveillance envers la plus belle invention de notre siècle, rien ne m’empêchera de dire que le principal résultat des chemins de fer, après l’asservissement de la petite industrie, sera de créer une population de travailleurs dégradés, cantonniers, balayeurs, chargeurs,