Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/393

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nous avons dû rendre raison de cette culpabilité, sous peine de laisser l’homme mutilé, et de n’avoir fait de lui qu’une méprisable satire ; de même, après avoir reconnu la chimère d’une providence en Dieu, nous devons chercher comment ce défaut de providence se concilie avec l’idée d’une intelligence et d’une liberté souveraines, sous peine de manquer à l’hypothèse proposée, et que rien encore ne prouve être fausse.

J’affirme donc que Dieu, s’il est un Dieu, ne ressemble point aux effigies que les philosophes et les prêtres en ont faites ; qu’il ne pense ni n’agit selon la loi d’analyse, de prévoyance et de progrès, qui est le trait distinctif de l’homme ; qu’au contraire, il semble plutôt suivre une marche inverse et rétrograde ; que l’intelligence, la liberté, la personnalité en Dieu sont constituées autrement qu’en nous ; et que cette originalité de nature, parfaitement motivée, fait de Dieu un être essentiellement anti-civilisateur, anti-libéral, anti-humain.

Je prouve ma proposition en allant du négatif au positif, c’est-à-dire en déduisant la vérité de ma thèse du progrès des objections.

1o Dieu, disent les croyants, ne peut être conçu que comme infiniment bon, infiniment sage, infiniment puissant, etc. : toute la litanie des infinis. Or, l’infinie perfection ne se peut concilier avec la donnée d’une volonté indifférente ou même réactionnaire au progrès : donc, ou Dieu n’existe pas, ou l’objection tirée du développement des antinomies ne prouve que l’ignorance où nous sommes des mystères de l’infini.

Je réponds à ces raisonneurs, que si, pour légitimer une opinion tout à fait arbitraire, il suffit de se rejeter sur l’insondabilité des mystères, j’aime autant le mystère d’un Dieu sans providence, que celui d’une Providence sans efficace. Mais, en présence des faits, il n’y a pas lieu d’invoquer un pareil probabilisme ; il faut s’en tenir à la déclaration positive de l’expérience. Or, l’expérience et les faits prouvent que l’humanité, dans son développement, obéit à une nécessité inflexible, dont les lois se dégagent et dont le système se réalise à mesure que la raison collective le découvre, sans que rien, dans la société, témoigne d’une instigation extérieure, ni d’un commandement providentiel, ni d’aucune pensée