Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/12

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scopiques ; qui arrêtera le marchand des jours et des heures à la frontière ; qui le déshabillera quelquefois pour lui trouver entre la chemise et la peau quelque chose qui ne doit ni entrer ni sortir.

» À cette armée, munie de fusils et de sabres, correspondra une autre armée munie de plumes, plus formidable encore que la première. Elle réglementera, ou fera réglementer constamment ; elle jettera le marchand de perplexité en perplexité par des ordres, des circulaires et des instructions de tout genre ; tout en étant sur ses gardes, il ne sera pas toujours certain de sauver sa marchandise de la confiscation et de l’amende ; et il lui faudra une application particulière pour n’avoir pas de démêlés avec l’une ou avec l’autre des deux armées. Et tout cela vous le trouverez chez vous comme aux antipodes ; et plus vous irez, plus vous rencontrerez d’obstacles, de dangers ; plus vous ferez de sacrifices, et moins vous aurez de profits. Mais au moyen de cette combinaison, vous êtes sûrs de vendre à vos compatriotes, auxquels il est défendu d’acheter au dehors. Vous troquerez un petit monopole, un immense marché, pour ne plus avoir de concurrence, et vous serez les maîtres de la consommation intérieure. Quant au consommateur, on n’a que faire de s’en occuper. Il payera plus cher et aura moins de jouissances : c’est un sacrifice qu’il fait à la chose publique, c’est-à-dire à l’industrie et au commerce, que le gouvernement entend protéger d’une manière nouvelle et efficace. »

J’ai rapporté tout au long cet argument négatif, et trop poétique peut-être, pour satisfaire à toutes les intelligences. Devant le public, la liberté ne se défend jamais mieux que par le tableau des misères de l’esclavage. Toutefois, comme cet argument en lui-même ne prouve et n’explique rien, il reste à démontrer théoriquement la nécessité du libre commerce.

La liberté du commerce est nécessaire au développement économique, à la création du bien-être dans l’humanité, soit que l’on considère chaque société dans son unité nationale et comme faisant partie de la totalité de l’espèce, soit qu’on ne voie en elle qu’une agglomération d’individus libres, aussi maîtres de leurs biens que de leurs personnes.

Et d’abord les nations sont les unes à l’égard des autres comme de grandes individualités entre lesquelles a été divisée l’exploitation du globe. Cette vérité est aussi vieille que le monde ; la légende de Noé, partageant la terre entre ses fils,