Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/124

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vingt ou trente ans : il arrivera un moment où cette société pourra tout à coup, en groupant ses forces, disposer de plusieurs millions. Que ne pourraient entreprendre des hommes laborieux et sobres, des hommes éprouvés par trente ans de patience et d’économie, avec une pareille force ! Et n’est-il pas évident qu’une telle conduite, soutenue pendant trois ou quatre générations, et propagée partout comme une religion nouvelle, réformerait le monde et amènerait infailliblement l’égalité ?

On peut varier et combiner à l’infini des suppositions de ce genre, et toujours l’on arrivera à conclure que si le prolétariat reste pauvre, c’est qu’il ne veut pas se donner la peine d’être riche.

Mais, mon Dieu ! autant vaut dire aussi que si nous sommes fous, c’est que nous ne sommes pas sages ; et si nous souffrons, c’est que nous ne sommes pas en bonne santé. Sans doute notre droit public, nos lois civiles et de commerce, notre science économique, nos institutions de crédit, contiennent un million de fois ce qui est nécessaire au prolétariat pour sortir de la misère et s’affranchir de cette odieuse servitude du capital, de ce joug infâme de la matière, cause première de toutes les aberrations de l’esprit. Mais, pour saisir la loi de cette émancipation, il faut sortir, à l’aide d’une conception transcendante, du cercle de l’usure ; et, au terme où nous sommes parvenus, dans cette phase miraculeuse du crédit, nous sommes plus que jamais enfoncés dans l’usure. Tout à l’heure nous ferons la part des torts du prolétaire, celle du capitaliste, et celle de la Providence.

Après avoir dit ce qu’ont été jusqu’à ce moment les formes du crédit, ce qu’elles peuvent devenir, il nous reste à parler du formulaire qui leur est commun à toutes, et qui est à l’économie politique ce que la procédure est à la justice : je veux par là désigner la comptabilité.

Le crédit est le père de la comptabilité, science dont tout le secret consiste dans le principe qu’il ne saurait y avoir de débiteur sans créancier et réciproquement : ce qui est la traduction de l’aphorisme que les produits s’obtiennent par des produits, et ramène, sous une expression nouvelle, l’antagonisme fondamental de l’économie politique.

On ne lira pas sans intérêt les détails suivants sur la comptabilité chez les Romains.

« Les anciens Romains avaient chacun un registre, sur lequel ils écrivaient leurs dettes et leurs créances, sortes de