Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/138

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finitive il est impossible que le capital soit prêté pour rien ; comme il ne se peut pas qu’il rentre tel qu’il a été remis ; comme enfin l’intérêt du capital, si faible qu’il soit, dès l’instant qu’il doit reproduire indéfiniment le capital lui-même avec bénéfice, dépasse toujours l’excédant que le travail laisse au producteur : il y a nécessité que dans une nation le travail s’aliène, pour ainsi dire, continuellement au profit du capital, et que continuellement aussi la banqueroute et la misère rétablissent l’équilibre.

Le docteur Price et son disciple Pitt, lorsqu’ils faisaient leurs calculs sur l’intérêt composé, ne se sont pas aperçus qu’ils venaient de démontrer mathématiquement la contradiction du crédit. La variété des formes, la subtilité des combinaisons, la facilité du transport, la latitude accordée au remboursement : tout cela ne sert de rien. L’équilibre ne peut exister qu’à la condition de faire rentrer sur lui-même le crédit, c’est-à-dire de rendre le capitaliste et le travailleur créanciers et débiteurs, en même degré : chose impossible sous le régime du monopole.

Qu’il vienne donc au plus vite, ce dégagement universel des capitaux, ce règne des billets à rente, où l’argent, idole décrépite, sera mis à la retraite. Et nous verrons l’humanité que les poëtes dépeignent comme la fiancée de Dieu et la reine de la nature, nous la verrons assise, comme une courtisane, l’œil enflammé, la gorge pantelante, à une table de jeu produisant pour le jeu, achetant, vendant, spéculant, toujours pour le jeu. Alors les instruments du travail seront devenus tout à la fois et des enjeux et des instruments de jeu ; les marchés se convertiront en bourse et les routes en coupe-gorge ; la navigation sera piraterie ; tout art et toute science sera comme une fabrique de fausses clefs, de ciseaux, de pinces et de scies préparés pour le vol. Puis ce seront d’effroyables suicides, d’atroces vengeances, la dissolution, le pillage, l’anarchie : après quoi la société fatiguée, mais non assouvie, recommencera sa ronde infernale.

« N’est-il point à craindre, s’écrie à l’aspect de cet épouvantable avenir M. Augier, que l’habitude amenant à sa suite l’impudeur, l’agrégation de la famille humaine ne devienne un repaire de voleurs ou de banqueroutiers systématiques, régis par des lois en dérision de l’équité, et hypocritement coalisés contre la justice, qu’ont de tous temps cherché à acclimater les honnêtes gens ? N’est-il point à redouter, enfin, que des mœurs sans exemple, même dans le passé, ne vien-