Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/143

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bli le prestige et la durée du crédit. Tout le monde, se promettant de sortir du jeu avec bénéfice, et rejetant sur le public l’intérêt qui le grève, se trouve d’accord pour demander crédit ; personne ne songe à en conjurer les effets subversifs. On ne réfléchit pas qu’à cette loterie les chances sont combinées de telle sorte que le banquier gagne toujours, et qu’en définitive, sauf quelques heureux qui finissent constamment par s’associer à la banque, la surtaxe des produits étant universelle et réciproque, chaque producteur est aussi chargé que s’il portait seul le poids de son propre crédit, le fardeau de sa mauvaise conscience.

Mais, dit-on, ne pourrait-il pas arriver que par l’universalité du crédit, par la variété de ses combinaisons, chacun devînt à la fois commanditaire et commandité, donnât crédit et le reçût, touchant dans le premier cas une prime, et dans le second la payant : de sorte que, par cette circulation véritable, les conditions fussent égalisées, et autant que cela se peut entre les hommes, mutuellement garanties ?

Je rapporte cette objection, toute puérile qu’elle soit, afin de mettre dans tout son jour le cercle vicieux du crédit, l’impossibilité mathématique de cette prétendue circulation égalitaire. D’ailleurs, plus d’un financier, plus d’un organisateur du crédit a été la dupe de cette utopie : il est donc pardonnable au commun des lecteurs de la soulever, comme à moi d’y répondre.

Souvenons-nous que dans la période actuelle des antinomies sociales que nous nommons le crédit, et dont on nous fait attendre de si pompeuses merveilles, rien encore n’est organisé : le travail est livré à la division parcellaire ; l’atelier, à la maîtrise et au salariat ; le marché, à la concurrence et au monopole ; la société, à l’hypocrisie fiscale et parlementaire. Dans celle situation, pour que l’équilibre, tel qu’on le suppose, pût s’établir, il faudrait que les gros capitaux appartinssent aux moindres salariés ; les capitaux de second ordre, aux ouvriers d’un degré supérieur ; et les capitaux les plus faibles, par conséquent les plus petites rentes, à ceux des travailleurs qui jouissent des plus gros traitements. Mais tout cela est contradictoire, impossible, absurde. Ceux qui gagnent le plus sont nécessairement ceux qui feront les plus fortes épargnes, et qui, dans la commandite universelle qu’on prétend créer, posséderont le plus grand nombre d’actions, Qu’importe alors que chaque salarié, depuis le malheureux attaché à une roue et gagnant 1 fr. 25 c. par jour, jusqu’au