Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/156

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Or, sur mille individus pris à l’âge de vingt-un ans, plus de moitié meurent avant la cinquante-cinquième année : c’est donc comme si, pour épargner une vieillesse malheureuse à cinq cents personnes, on leur faisait payer une indemnité par cinq cents autres qui, dans l’ordre de la Providence, n’avaient rien à craindre. Au lieu de cinq cents pauvres, on en aura mille : telle est la loi de toutes ces loteries. M. de Lamartine sentit cette contradiction, lorsqu’il s’est plaint qu’on faisait l’aumône aux pauvres avec l’argent des pauvres, et qu’il a demandé que les fonds de retraite fussent pris sur le budget. Malheureusement le remède eût été pire que le mal : une taxe des pauvres ! Pour le salut du peuple et le bien des indigents, on ne devait pas en vouloir ; on n’en a pas voulu.

L’assurance sur la vie est une autre sorte d’exploitation dans laquelle l’entrepreneur, moyennant une rente annuelle qui lui est payée d’avance, promet de payer, au jour de la mort de l’assuré, une somme de… à ses héritiers. C’est l’inverse de la rente à fonds perdu. Comme c’est surtout par le grand nombre des assurés que de telles entreprises peuvent se soutenir, il en résulte que dans l’assurance sur la vie ceux qui vivent longtemps sont exploités par ceux qui meurent tôt. Toujours répartition du mal présentée comme garantie contre le mal ; toujours le rapport d’étendue substitué, pour tout secret, au rapport d’intensité. Je laisse de côté les risques de banqueroute de la part des assureurs, les procès qu’il faut soutenir pour être payé, la chance de perdre de longues années de sacrifices, si, par un malheur quelconque, on venait à se trouver dans l’impossibilité de continuer l’acquittement de la prime.

Quels que soient donc les avantages tout personnels que certains individus, nécessairement en petit nombre, retirent des institutions de secours et de prévoyance, l’impuissance de ces institutions contre la misère est mathématiquement démontrée. Toutes opèrent à la manière des jeux de hasard, faisant supporter à la masse le bénéfice qu’elles procurent à quelques-uns ; de sorte que si, comme la raison l’indique, et comme l’universalité du mal le demande, les sociétés de secours devaient réellement secourir tous ceux qui en ont besoin, elles ne secourraient personne, elles se dissoudraient. Avec l’égalité disparaîtrait la mutualité. Aussi est-ce un fait d’expérience que les sociétés de secours mutuels ne se soutiennent qu’autant qu’elles s’adressent à des ouvriers d’une