Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/198

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d’échanger, ne fût une nouvelle garantie de stabilité : telle la monarchie héréditaire, expression la plus haute du droit de propriété, excluant les luttes de l’élection, à l’intérieur opposait une barrière à la guerre civile, et à l’extérieur personnifiait le peuple.

Du côté de l’individu, l’amélioration n’était pas moins sensible.

Par la propriété, l’homme prend définitivement possession de son domaine, et se déclare maître de la terre. Comme on l’a vu dans la théorie de la certitude, des profondeurs de la conscience le moi s’élance et embrasse le monde ; et dans cette communion de l’homme et de la nature, dans celle espèce d’aliénation de lui-même, sa personnalité, loin de faiblir, double d’énergie. Nul n’est plus fort de caractère, plus prévoyant, plus persévérant que le propriétaire. Comme l’amour, qu’on peu définir une émission de l’âme, qui s’accroît par la possession, et qui, plus il s’épanche, plus il abonde : ainsi, la propriété ajoute à l’être humain, l’élève en force et en dignité. Riche, noble, baron, propriétaire, seigneur ou sire, tous ces noms sont synonymes. Dans la propriété comme dans l’amour, posséder et être possédé, l’actif et le passif, n’expriment toujours que la même chose ; l’un n’est possible que par l’autre, et c’est seulement par cette réciprocité que l’homme, jusqu’alors tenu par une obligation unilatérale, maintenant enchaîné par le contrat synallagmatique qu’il vient de passer avec la nature, seul tout ce qu’il est et ce qu’il vaut, et jouit de la plénitude de l’existence. Et telle est la révolution qu’opère dans le cœur de l’homme la propriété, que loin de matérialiser ses affections, elle les spiritualise : c’est alors qu’il apprend à distinguer la nu-propriété de l’usufruit ; le domaine éminent, transcendental, de la simple possession ; et cette distinction à laquelle le monopole ne pouvait atteindre est un pas de plus vers l’affranchissement de l’espèce et vers l’association, qui consiste dans l’union des volontés et l’accord des principes, bien plus que dans une chétive communauté de biens, qui opprime à la fois l’âme et le corps.

L’épreuve de la propriété est faite : il faudrait démentir l’histoire entière pour la nier. Nous disions, en parlant du crédit, que la révolution française n’avait été qu’une émeute pour la loi agraire : or, qu’est-ce au fond qu’une loi agraire, sinon une collation de propriété ? En rendant le peuple propriétaire, au lieu et place de deux castes devenues indignes