Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/208

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dustrie, duquel résulte l’amélioration dans l’usage de la terre. D’où il suit, en dernière analyse, que l’intérêt se mesure à l’importance du capital, tandis que, relativement à la terre, la propriété s’apprécie par la rente.

Telle est, dans son essence, la rente : il s’agit de l’étudier dans sa destination et ses motifs.

Au point de départ de l’institution, la rente est l’honoraire de la propriété : c’est l’émolument payé au propriétaire pour la gestion que lui confère son nouveau droit. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit dans le premier numéro de ce paragraphe, touchant la nécessité où s’est trouvée la société, dans l’intérêt du travail et du crédit, de changer la condition du privilégié. Je me borne à rappeler qu’à la septième époque de l’évolution économique, la fiction ayant fait évanouir la réalité, l’activité humaine menaçant de se perdre dans le vide, il était devenu nécessaire de rattacher plus fortement l’homme à la nature : or, la rente a été le prix de ce nouveau contrat. Sans elle la propriété ne serait qu’un titre nominal, une distinction purement honorifique : or, la raison souveraine qui mène la civilisation ne fait point usage de ce ressort de l’amour-propre ; elle paye, acquitte ses promesses, non avec des mots, mais avec des réalités. Dans les prévisions du destin, le propriétaire remplit la plus importante fonction de l’organisme social : c’est un foyer d’action autour duquel gravitent, se groupent et s’abritent ceux qu’il appelle à faire valoir sa propriété, et qui, de salariés insolents et jaloux, doivent devenir ses enfants.

Du reste il faut le dire, dussions-nous déplaire, on se fait généralement de grandes illusions sur la félicité et la sécurité des rentiers, comparativement au bien-être dont jouissent les classes travailleuses. L’ouvrier à 30 sous par jour, qui voit passer la voiture du propriétaire riche à 100,000 livres de rente, ne peut s’empêcher de croire qu’un tel homme est cent fois plus heureux que lui. On n’aperçoit dans la rente qu’un moyen de vivre sans travail et de se procurer toutes les jouissances, et l’on applaudit à la morale des grands qui se font une espèce de devoir social de dépenser tous leurs revenus. De là, chez l’homme du peuple, un principe de jalousie et de haine aussi injuste qu’immoral, et une cause active de dépravation et de découragement.

Cependant, pour qui envisage les choses de haut et dans leur vérité inflexible, le rentier, dans une société en voie d’organisation, n’est pas autre chose que le gardien des éco-