Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/215

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a le droit de se tromper dans l’usage de ses biens, sans qu’il puisse jamais être recherché pour ce mauvais usage, sans qu’il soit responsable devant personne de son erreur. Le propriétaire est toujours censé agir dans son plus grand intérêt ; et c’est afin de lui laisser plus de liberté dans la poursuite de cet intérêt, que la société lui a conféré le droit d’user et d’abuser de son monopole. Jusque-là donc le domaine de propriété est irrépréhensible.

Mais rappelons-nous que ce domaine n’a pas été concédé seulement au respect de l’individu : il existe, dans l’exposé des motifs de la concession, des considérations toutes sociales ; le contrat est synallagmatique entre la société et l’homme. Cela est tellement vrai, tellement avoué même des propriétaires, que toutes les fois qu’on vient attaquer leur privilège, c’est au nom et seulement au nom de la société qu’ils le défendent.

Or, le despotisme propriétaire donne-t-il satisfaction à la société ? Car s’il en était autrement, la réciprocité étant illusoire, le pacte serait nul, et tôt ou tard ou la propriété ou la société périrait. Je réitère donc ma demande. Le despotisme propriétaire remplit-il son obligation envers la société ? le despotisme propriétaire use-t-il en bon père de famille ? est-il, par son essence, juste, social, humain ? Voilà la question.

Et c’est à quoi je réponds sans craindre de démenti :

S’il est indubitable, au point de vue de la liberté individuelle, que la concession de la propriété ait été nécessaire ; au point de vue juridique, la concession de la propriété est radicalement nulle, parce qu’elle implique de la part du concessionnaire certaines obligations qu’il lui est facultatif de remplir ou de ne remplir pas. Or, en vertu du principe que toute convention fondée sur l’accomplissement d’une condition non obligatoire n’oblige pas, le contrat tacite de propriété, passé entre le privilégié et l’état, aux fins que nous avons précédemment établies, est manifestement illusoire ; il s’annulle par la non-réciprocité, par la lésion d’une des parties. Et comme, en fait de propriété, l’accomplissement de l’obligation ne peut être exigible sans que la concession elle-même soit par cela seul révoquée, il s’ensuit qu’il y a contradiction dans la définition et incohérence dans le pacte. Que les contractants, après cela, s’obstinent à maintenir leur traité, la force des choses se charge de leur prouver qu’ils font œuvre inutile : malgré qu’ils en aient, la fa-