Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/23

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puisque toujours, sur chaque point du globe, par l’effet des activités nationales et individuelles, par la constitution des monopoles, et par la variété des climats, il se produira des divergences d’intérêts et des rivalités, conséquemment, sous peine de mort ou de servitude, des coalitions et des exclusions : et l’on n’en persiste pas moins, pour l’honneur de l’école, à affirmer la possibilité d’appliquer cette théorie !

Prenez patience, nous disent-ils : le mal causé par la liberté des échanges sera passager, tandis que le bien qui en résultera sera permanent et incalculable. Que m’importent ces promesses de bonheur à l’adresse de la postérité, dont rien ne garantit la réalisation, et qui sans doute, si jamais elles se réalisent, seront compensées par d’autres désastres ? Que m’importe de savoir, par exemple, que l’Angleterre nous aurait fourni à 150 fr. les 100 kilos les mêmes rails que nous payons à nos fabricants 359 fr. 50 c., et que l’état aurait gagné à ce marché 200 millions ; que le refus d’admettre les bestiaux étrangers à nos foires a fait baisser chez nous la consommation de la viande de 25 p. 0/0 par tête, et que la santé publique en est affectée ; que l’introduction des laines étrangères amenant une réduction moyenne de 1 fr. par pantalon, laisserait 30 millions dans la poche des contribuables ; que les droits sur les sucres ne profitent en réalité qu’aux fraudeurs ; qu’il est absurde que deux pays dont les habitants se voient de leurs fenêtres, se trouvent plus séparés les uns des autres que par une muraille de la Chine : que m’importent, dis-je, toutes ces diatribes, lorsqu’après m’avoir ému par le spectacle des misères prohibitionnistes, on vient refroidir mon zèle par la considération des maux incalculables que la non-protection entraînera ? Si nous prenons les fers anglais, nous gagnons à cela 200 millions ; mais nos fabriques succombent, notre industrie métallurgique est démantelée, et cinquante mille ouvriers se trouvent sans travail et sans pain ! Où est l’avantage ? C’est, dit-on, qu’après ce sacrifice, nous aurons à perpétuité le fer à bas prix. J’entends :

Nos arrière-neveux nous devront cet ombrage.

Mais moi, je préfère travailler un peu plus, et ne pas mourir : le soin de mes enfants ne peut aller jusqu’à me jeter dans le gouffre, pour qu’ils aient le plaisir de compter parmi leurs ancêtres un Curtius. Ah ! si ma position chan-