Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servent comme d’un engin pour dépouiller leur victime.

Le recours direct à la violence et à la fourberie a été de bonne heure, et d’une voix unanime, repoussé ; c’est cet accord des peuples à renoncer à la force qui constitue et qui distingue la civilisation. Aucune nation n’est parvenue encore à se délivrer du vol déguisé en travail, talent et possession.

Le droit de la force et le droit de la ruse, célébrés par les rapsodes dans les poèmes de l’Iliade et de l’Odyssée, inspirèrent les républiques grecques et remplirent de leur esprit les lois romaines, desquelles ils ont passé dans nos mœurs et dans nos codes. Le christianisme n’y a rien changé : le christianisme s’étant posé en religion, hostile dès le début à la philosophie et contempteur de la science, ne pouvait manquer d’accueillir tout ce qui serait d’essence religieuse. C’est ainsi qu’après avoir fait profession d’égalité et de sens commun dans saint Mathieu et dans saint Paul, il rallia peu à peu autour de lui les superstitions qu’il avait d’abord proscrites : le polythéisme, le dualisme, le trinitarisme, la magie, la nécromancie, la hiérarchie, la monarchie, la propriété, toutes les religions et abominations de la terre.

L’ignorance des pontifes et des conciles, sur tout ce qui regarde la morale, a égalé celle du forum et des préteurs ; et cette ignorance profonde de la société et du droit est ce qui a perdu l’Église et qui déshonore à jamais son enseignement. Du reste, l’infidélité a été générale ; toutes les sectes chrétiennes ont méconnu le précepte du Christ ; toutes ont erré dans la morale, parce qu’elles erraient dans la doctrine : toutes sont coupables de propositions fausses, pleines d’iniquité et d’homicide. Qu’elle demande pardon à la société, cette Église qui s’est dite infaillible, et qui n’a pas su conserver le dépôt ; que ses sœurs prétendues réformées s’humilient… et le peuple, désabusé mais clément, avisera.

Ainsi la propriété, le droit conventionnel, aussi différent de la justice que l’éclectisme diffère de la vérité, et la valeur de la mercuriale, se constitue par une suite d’oscillations entre les deux extrêmes de l’injustice, la force brutale et la ruse perfide, entre lesquelles les contendants s’arrêtent toujours à une convention. Mais la justice vient à la suite du compromis ; la convention exprimera tôt ou tard la réalité ; le droit vrai se dégage incessamment du droit sophistique et arbitraire ; la réforme s’opère par la lutte de l’intelligence et de la force ; et c’est à ce vaste mouvement, dont le point de