Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans le vrai toutes les fois qu’ils se contredisent, et que leur théorie du libre commerce en particulier n’a de mérite que parce qu’elle est la théorie du libre monopole.

N’est-ce pas chose évidente de soi, claire comme le jour, aphoristique comme la rondeur du cercle, que la liberté du commerce, en supprimant toute entrave aux communications et aux échanges, rend par cela même le champ plus libre à tous les antagonismes, étend le domaine du capital, généralise la concurrence, fait de la misère de chaque nation, ainsi que de son aristocratie financière, une chose cosmopolite, dont le vaste réseau, désormais sans coupures ni solutions de continuité, embrasse dans ses mailles solidaires la totalité de l’espèce ?

Car, enfin, si les travailleurs, comme les Germains dont parle Tacite, comme les Tartares nomades, les Arabes pasteurs et tous les peuples à demi barbares, ayant reçu chacun leur portion de terrain, et devant par eux-mêmes produire tous les objets de leur consommation, ne communiquaient point entre eux par l’échange, il n’y aurait jamais ni riche ni pauvre ; personne ne gagnerait, mais aussi personne ne se ruinerait. Et si les nations, comme les familles dont elles se composent, produisant à leur tour tout chez elles, tout pour elles, n’entretenaient aucunes relations commerciales, il est sensible encore que le luxe et la misère ne pourraient passer de l’une à l’autre par ce véhicule de l’échange, que nous pouvons très-bien ici appeler la contagion économique. C’est le commerce qui crée tout à la fois la richesse et l’inégalité des fortunes ; c’est par le commerce que l’opulence et le paupérisme sont en progression continue. Donc là où s’arrête le commerce, là cesse en même temps l’action économique, et règne une immobile et commune médiocrité. Tout cela est d’une telle simplicité, d’un bon sens si vulgaire, d’une évidence si péremptoire, qu’il devait échapper aux économistes : car le propre des économistes étant de ne jamais admettre la nécessité des contraires, sa destinée est d’être toujours en dehors du sens commun.

Nous avons démontré la nécessité du commerce libre : nous allons compléter cette théorie en montrant comment la liberté, plus elle obtient de latitude, plus elle devient pour les nations commerçantes une cause nouvelle d’oppression et de brigandage. Et si nos paroles répondent à notre conviction, nous aurons dévoilé le sens de la réforme entreprise avec tant de fracas chez nos voisins d’outre-Manche ; nous