Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/264

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consomme d’une manière exclusivement privative, et ne conserve que de rares relations avec la communauté. Par l’effet d’un instinct irrésistible ou d’un préjugé fascinateur qui remonte aux temps les plus reculés de l’histoire, tout ouvrier aspire à entreprendre, tout compagnon veut passer maître, tout journalier rêve de mener train, comme autrefois tout roturier de devenir noble. Et remarquez, chose qui doit exciter votre impatience autant qu’elle m’étonne, que personne n’ignore le désavantage du morcellement, les charges du ménage, l’imperfection de la petite industrie, les dangers de l’isolement. La personnalité est plus forte que toutes les considérations ; l’égoïsme préfère les risques de la loterie à la sujétion de la communauté, et se rit des théorèmes de l’économie politique.

Au résumé, la communauté nous saisit à l’origine et s’impose fatalement à nous à l’égard des grandes puissances de a nature. Quant à son essence, la communauté répugne à la définition ; elle n’est pas la même chose que l’égalité ; elle ne tient nullement à la matière, et dépend tout entière du libre arbitre ; elle se distingue de l’association, et touche à l’égoïsme. A peine l’industrie commence à naître, et le travail produit ses premières ébauches, la personnalité entre en lutte avec la communauté, qui nous apparaît dès lors, sur le seuil domestique et jusqu’au lit conjugal, déjà imparfaite et décroissante. Plus tard, nous la trouvons incompatible avec une éducation libérale et vigoureuse ; enfin, elle décline rapidement dans les fonctions salariées, et disparait tout à fait dans le travail libre. Tout cela résulte de la nécessité des choses, autant que de la spontanéité de notre nature : les économistes l’avaient reconnu depuis longtemps.

« Est-il dans l’esprit de la société humaine, s’écrie avec infiniment de raison M. Dunoyer, de supprimer toute individualité, toute existence collective intermédiaire, et de ne laisser subsister qu’une grande existence générale, dans laquelle toutes les autres viennent nécessairement s’abîmer ? Comment concilier la liberté, qu’on prétend défendre pourtant, avec cette concentration violente ? comment même concilier avec cette concentration les progrès et l’unité qu’on se propose d’obtenir ? N’hésitons pas à le dire, s’il est des choses qui doivent être accomplies par la grande unité sociale ou nationale, il en est d’autres, en beaucoup plus grand nombre, qui doivent être faites par des unités collectives d’un ordre inférieur, par l’unité départementale, par l’unité com-