Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/297

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sont anticommunautaires. M. Cabet prescrit, comme Mentor, l’invariabilité du costume, l’uniformité du mobilier, la simultanéité des exercices, la communauté des repas, etc., etc. D’après cela, on ne conçoit pas pourquoi, en Icarie, il existerait plus d’un homme, plus d’un couple, le bonhomme Icar, ou M. Cabet, et sa femme. A quoi bon tout ce peuple ? à quoi bon cette répétition interminable de marionnettes, taillées et habillées de la même manière ? La nature, qui ne tire pas ses exemplaires à la façon des imprimeurs, et qui, en se répétant, ne fait jamais deux fois la même chose, fait naître, pour produire l’être progressif et prévoyant, des millions de milliards d’individus divers, et de cette infinie diversité résulté pour elle un sujet unique, l’homme. Le communisme impose des bornes à cette variété de la nature. Il lui dit, comme l’Éternel à l’Océan : Tu viendras jusqu’ici, tu n’iras pas plus loin. L’homme de la communauté une fois crée, est créé pour toujours… N’est-ce point ainsi que le fouriérisme a prétendu immobiliser la science ? Ce que Cabet fait pour le costume, Fourier l’avait fait pour le progrès : lequel des deux mérite davantage la reconnaissance de l’humanité ?

Pour arriver à ses fins avec plus de certitude, l’Icarien réglemente l’esprit public, prend ses mesures contre les idées nouvelles. En Icarie, il y a un journal communal, un provincial et un national : c’est comme dans l’Église, un catéchisme, un évangile, une liturgie. La liberté de penser, c’est le droit de proposition à l’assemblée. L’opinion de la majorité est réputée opinion publique : de même que dans nos chambres la raison se compte, elle ne se discute pas. Le journal, imprimé aux frais de l’état et distribué gratis, rend compte des délibérations, fait connaître le chiffre de la minorité, analyse ses raisons : après quoi tout est dit. Les livres de science et de littérature sont faits et publiés par délégation : la publicité n’est acquise à rien autre. En effet, tout appartenant à la communauté, personne n’ayant rien en propre, l’impression d’un livre non autorisé est impossible. D’ailleurs qu’aurait-on à dire ? Toute idée factieuse se trouve donc arrêtée dans sa source, et nous n’avons jamais de délits de presse : c’est l’idéal de la police préventive. Ainsi le communisme est conduit par la logique à l’intolérance des idées. Mais, miséricorde ! l’intolérance des idées est comme l’intolérance des personnes : c’est l’exclusion, c’est la propriété !