Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/319

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être notre espoir ? Notre destinée, c’est misère ; notre travail, c’est misère ; notre espérance, c’est misère. Le socialisme n’a rempli que la moitié de sa tâche : après avoir aboli, comme causes de misère, l’argent, la concurrence, le monopole, le mariage, la famille, la propriété, la liberté et la justice, au lieu de s’arrêter à cette hypocrisie de communauté, il devait proscrire encore le travail et prêcher le désespoir ; le socialisme a pour dogme final le suicide. Car si c’est une loi de l’humanité de se développer toujours dans l’industrie, la science et l’art, c’est aussi une nécessité pour l’homme de sceller de son sang chacun de ses pas dans la carrière ; c’est une nécessité qu’il subisse une mort de plus en plus amère, qui lui fasse expier la délicatesse de ses sentiments, la vivacité de ses affections, la fécondité de ses travaux, la profondeur de son enthousiasme, la joie de ses voluptés ; une mort qui, prenant autant de formes que la vie, atteigne l’homme dans le cœur, dans les sens et dans la raison, et l’anéantisse des millions de fois. La mort ! voilà notre raison dernière, voilà le dieu du monde ! Finis est homininis sicut jumenti. Ou, si c’est uniquement pour mourir que nous avons été tirés du néant, où était la nécessité pour nous, pour l’univers, d’en sortir ? La création, la vie, la nécessité, la Providence, Dieu et l’homme, tout est absurde.

Quelle déraison ! reprennent à ce propos les économistes chrétiens, quelle démence impie ! Oui, disent-ils, la fin de l’homme sur la terre est comme celle des brutes, et la loi de Malthus ne fait aucune acception des personnes. Mais cette loi n’embrasse que la vie présente ; notre véritable vie n’est point ici-bas. Celle imperfection de notre destinée, qui nous fait paraître et disparaître, distribuant inégalement les biens et les maux, et frappant l’espèce comme l’individu, n’est et ne peut être autre chose que l’essai, la préparation, le prélude d’une vie ultérieure. Nous en avons pour garant la parole de Celui qui ne ment pas, et qui a mis au fond de nos entrailles, avec le désir du bonheur, le pressentiment de l’immortalité. La permanence de l’âme après le dernier soupir, la résurrection dans un monde meilleur, voilà le complément de la nature, le but de la vie, la justification de la Providence.

Que je recevrais avec amour, que j’embrasserais avec transport cette consolante utopie, s’il était possible, je ne dis pas de m’en faire voir quelque chose, mais seulement de la rendre accessible à ma raison ! Mais que peut-il y avoir hors de