Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/321

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tique a besoin que la mort lui vienne en aide : ne serait-ce point qu’elle-même vient ici en aide à la mort ? Or, si la mort, privée de cet auxiliaire, reculait seulement d’un pas, qui sait l’avantage que la mort me donnerait sur elle par cette marche rétrograde ?…

L’économie politique nous dit : Je ne puis vous donner du pain à tous, parce que vous venez plus vite que je ne saurais vous servir. C’est pourquoi il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus !…

Avant de s’excuser sur le trop grand nombre de ses nourrissons, il faut que l’économie politique prouve qu’elle a rempli son devoir. Nous sommes dévoués à la mort, à la bonne heure ! L’économie politique n’aurait-elle point préparé, sollicité, accéléré notre exécution ? Cette misère qui lui sert à pallier ses fautes, ne serait-elle pas, en partie, son ouvrage ? Is fecit cui prodest ! L’économie politique est intéressée à nous faire périr, l’économie politique a menti.


§ II. — La misère est le fait de l’économie politique.


Je ne sais point encore ce que c’est que la misère : mais je suis certain d’une chose, c’est qu’elle anticipe sur la production, et qu’elle nous frappe avant que la stérilité du travail l’y autorise. Ce fait, aussi bien prouvé qu’aucun de ceux rapportés par Malthus, est le seul que je veuille opposer à la théorie de cet écrivain : il me suffira pour la renverser de fond en comble.

Je distingue d’abord, dans l’existence de l’humanité, deux périodes principales : l’état sauvage, essentiellement stationnaire, où l’homme, ignorant du travail, vit seulement des produits naturels du sol et de la chair crue des animaux ; et la civilisation, essentiellement progressive, où l’homme, devenu industrieux et transformant la matière, subsiste du produit de ses mains.

Dans la première période, la misère, c’est-à-dire l’épuisement des provisions et le manque des objets de première nécessité, a pour cause directe et immédiate la paresse, l’inertie générale des facultés de l’homme. Comme il était possible, sinon d’éliminer tout à fait, du moins d’ajourner, par un travail productif, cette misère née de l’inertie ; comme elle arrive longtemps avant que l’homme, s’emparant des forces naturelles, leur ait fait rendre tout ce qu’elles sont