Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/344

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D’abord son grand et capital défaut, c’est d’être une contrainte : ce nom seul en fait déjà ressortir la contradiction. La nature sollicite l’homme à une chose, la société lui en commande une autre : si je cède à l’amour, je suis menacé de la misère ; si je résiste à l’amour, je ne suis pas moins misérable : toute la différence est du physique au moral : de quelque côté que je regarde, je ne découvre que désolation et angoisse. Est-ce là un équilibre ?

D’autre part, le remède que propose Malthus n’est rien moins qu’une accusation contre la Providence, un acte de méfiance envers la nature : je m’étonne que les économistes chrétiens n’y aient point pris garde. Car il ne s’agit point seulement ici des plaisirs illégitimes, que la religion et la société réprouvent ; il s’agit des unions même permises, que dis-je ? il y va d’une chose que tous les moralistes regardent comme la plus sûre garantie des bonnes mœurs, le mariage des jeunes gens. Désormais, avec la théorie de Malthus, le mariage n’est plus fait que pour les demoiselles surannées et les vieux satyres : à quoi sert-il, avec ces noces rébarbatives, de sentir à vingt ans les douces pointes de l’amour, s’il n’est permis d’écouter le penchant que lorsqu’il est près de s’éteindre ? Et quelle théorie que celle qui, pour un si triste résultat, pose en principe la nécessité de corriger les œuvres de Dieu par la prudence de l’homme !

Enfin le remède de Malthus est impraticable et impuissant. Impraticable, en fait et en droit, puisque, d’une part, on ne peut sérieusement espérer de transposer les périodes de la vie humaine, de faire que jeunesse languisse et que vieillesse reverdisse ; et que d’autre part, sous le régime de la propriété, la théorie de Malthus conduit directement à faire du mariage le privilège de la fortune… Impuissant, puisque si la misère a pour cause immédiate, non pas, comme on l’imagine, le surcroît de population, mais les prélèvements du monopole, la misère, sous un régime comme le nôtre, ne manquera jamais de se produire, soit que la population avance, soit qu’elle recule. La preuve de cette assertion se trouve à chaque page de ce livre : il est inutile d’y revenir.

Les contradictions de la théorie de Malthus, confusément aperçues, mais vivement senties, ont causé un déchaînement général. Les motifs des opposants ne furent pas toujours judicieux, et encore moins purs, comme on verra. Mais l’économie politique n’eut à se plaindre que d’elle, d’autant plus qu’elle finit par accepter la solidarité des turpitudes que