Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/364

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somme. Les machines ne font qu’abréger et suppléer pour nous certaines opérations manuelles : elles ne diminuent pas le travail, elles le déplacent ; ce que nous demandions auparavant à nos muscles est reporté sur le cerveau. Rien n’est changé au travail, si ce n’est le mode d’action, qui du physique passe à l’intellectuel. Si donc il est démontré que l’homme triomphe incessamment, par la force qui lui est propre, et de l’inertie croissante de la nature, et de l’augmentation de ses besoins, il est démontré du même coup que la somme de son labeur augmente toujours.

Les faits abondent pour témoigner de cet accroissement continuel du travail, et l’insouciance avec laquelle nous passons à côté sans les voir est toujours ce qui me frappe le plus d’étonnement.

Dans les centres industriels, comme Paris, Lyon, Lille, Rouen, la moyenne du travail, quant à la durée seulement, est de 13 à 14 heures. Les maîtres, aussi bien que les employés et domestiques, participent à ce labeur d’esclave. Dans le commerce surtout, il n’est pas rare que les séances atteignent jusqu’à 18 heures. L’enfance et le sexe ne sont point épargnés. Le législateur s’est ému dans ces dernières années des effroyables corvées dont l’industrie charge les enfants et les femmes ; la presse n’a su voir, dans les abus dénoncés à la tribune, que la cupidité et la barbarie des exploitants : personne n’a cherché à se rendre compte de la fatalité économique dont lesdits exploitants ne sont après tout que les fondés de pouvoir. On n’a pas vu que dans notre société à engrenages, le travail ne s’arrête non plus que le capital ; que comme celui-ci croît par l’intérêt redoublé, de même celui-là s’aggrave indéfiniment par la division et les machines. Le travail et le capital, comme la création et le temps, sont choses qui se poursuivent toujours sans pouvoir s’atteindre : mais vient une heure où ni le capital ne peut s’accroître par l’usure, parce que la production est trop lente, et telle est la cause première de l’abaissement progressif de l’intérêt ; ni le travail ne peut devenir plus productif par la division, à cause de la force d’inertie toujours croissante de la nature : — heure où l’adolescence fait place dans l’humanité à la virilité ; où la société haletante, au lieu de ces immenses oscillations que le monopole et la concurrence lui faisaient autrefois décrire, ne ressent plus qu’une vibration insensible ; où l’égalité frémit dans l’inégalité même et semble dire à la vie : Tu n’iras pas plus loin ! Usque huc venies,