Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/371

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ture, il se laisserait mourir de faim. L’eau pure du rocher n’est rien pour lui ; il invente l’ambroisie et le nectar. Les fonctions de sa vie qu’il ne peut parvenir à maîtriser, il les appelle honteuses, malhonnêtes, ignobles. Il s’apprend à marcher et à courir. Il a une méthode se coucher, de se lever, de s’asseoir, de se vêtir, de se battre, de se gouverner, de se faire justice ; il a trouvé même la perfection de l’horrible, le sublime du ridicule, l’idéal du laid. Enfin, il se salue, il se témoigne du respect, il a pour sa personne un culte minutieux, il s’adore comme une divinité !…

Toutes les actions, les mouvements, les discours, les pensées, les produits, les affections de l’homme portent ce caractère d’artiste. Mais cet art même, c’est la pratique des choses qui le révèle, c’est le travail qui le développe ; en sorte que plus l’industrie de l’homme approche de l’idéal, plus aussi lui-même s’élève au-dessus de la sensation. Ce qui constitue l’attrait et la dignité du travail, c’est de créer par la pensée, de s’affranchir de tout mécanisme, d’éliminer de soi la matière. Cette tendance, faible encore chez l’enfant plongé tout entier dans la vie sensitive ; plus marquée chez le jeune homme, fier de sa force et de sa souplesse, mais sensible déjà au mérite de l’esprit, se manifeste de plus en plus chez l’homme mûr. Qui n’a rencontré de ces ouvriers qu’une longue assiduité à l’ouvrage avait rendus spontanément artistes, à qui la perfection du travail était un besoin aussi impérieux que la subsistance, et qui, dans une spécialité en apparence mesquine, découvraient tout à coup de brillantes perspectives ?…

Or, de même que l’homme, par sa nature d’artiste, tend à idéaliser son travail, c’est un besoin pour lui d’idéaliser aussi son amour. Cette faculté de son être, il la pénètre de tout ce que son imagination a de plus fin, de plus puissant, de plus enchanteur, de plus poétique. L’art de faire l’amour, art connu de tous les hommes, le plus cultivé, le mieux senti de tous les arts, aussi varié dans son expression que riche dans ses formes, a pris son plus grand essor vers les temps de la puissance du catholicisme : il a rempli tout le moyen âge ; occupe seul la société moderne par le théâtre, les romans, les arts de luxe, qui tous n’existent que pour lui servir d’auxiliaires. L’amour, enfin, comme matière d’art, est la grande, la sérieuse, j’ai presque dit l’unique affaire de l’humanité.

L’amour donc, aussitôt qu’il s’est déterminé et fixé par le mariage, tend à s’affranchir de la tyrannie des organes :