Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/403

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bois, le pâtre sicilien qui a ramassé le soufre, le marin qui en a effectué le transport, le commissionnaire qui de Marseille en a fait la réexpédition, le marchand qui l’a vendu, sont-ils complices de la catastrophe ? Existe-t-il entre eux la moindre solidarité, je ne dis pas seulement dans l’emploi, mais dans la fabrication de cette poudre ?

Or, s’il est impossible de découvrir la moindre connexité d’action entre les individus divers qui, chacun à leur insu, ont coopéré à la production de la poudre, il est clair, par la même raison, qu’il n’y a pas davantage connexité et solidarité entre eux relativement aux bénéfices de la vente, et que le gain qui peut résulter de son usage appartient aussi exclusivement à l’inventeur, que le châtiment, dont il pourrait devenir passible par suite de crime ou d’imprudence, lui est personnel. La propriété est identique à la responsabilité : on ne peut affirmer celle-ci, sans accorder en même temps celle-là.

Mais admirez la déraison de la raison ! Cette même propriété, légitime, irréprochable dans son origine, constitue dans son exercice une iniquité flagrante ; et cela, sans qu’il s’y joigne aucun élément qui la modifie, mais par le seul développement du principe.

Considérons dans leur ensemble les produits que l’industrie et l’agriculture apportent au marché. Ces produits, comme la poudre et le savon, sont tous, à un degré quelconque, le résultat d’une combinaison dont les matériaux ont été tirés du magasin général. Le prix de ces produits se compose invariablement, d’abord des salaires payés aux différentes catégories de travailleurs, en second lieu, des profits exigés par les entrepreneurs et capitalistes. De sorte que la société se trouve divisée en deux classes de personnes : 1° les entrepreneurs, capitalistes et propriétaires, qui ont le monopole de tous les objets de consommation ; 2° les salariés ou travailleurs, qui ne peuvent donner de ces choses que la moitié de ce qu’elles valent, ce qui leur rend la consommation, la circulation et la reproduction impossibles.

En vain Adam Smith nous dit-il :

« La simple équité exige que ceux qui habillent, nourrissent et logent tout le corps de la nation, aient dans le produit de leur propre travail une part suffisante pour être eux-mêmes passablement nourris, vêtus et logés. »

Comment cela pourrait-il se faire, à moins d’une dépossession des monopoleurs ? et comment empêcher le monopole, s’il est un effet nécessaire du libre exercice de la faculté in-