Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/44

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« Puisque les deux intérêts se contredisent, l’un d’eux doit nécessairement coïncider avec l’intérêt social en général, et l’autre lui être antipathique… » Et M. Bastiat de prouver très-longuement et très-doctement que l’intérêt du consommateur étant plus social en général que celui du producteur, c’est de ce côté que les gouvernements doivent faire pencher la protection. Est-il démontré maintenant, j’adresse cette question aux lecteurs compétents, que tout ce qui manque aux économistes, c’est de savoir raisonner ?

Vous l’avez dit vous-même : l’intérêt du consommateur est identique dans la société à celui du producteur ; par conséquent, en matière de commerce international, il faut raisonner de la société comme de l’individu : comment donc avez-vous pu séparer l’un de l’autre ces deux intérêts ? Vous ne pouvez vous figurer un consommateur achetant avec autre chose qu’avec ses produits ; comment prétendez-vous alors qu’il est indifférent pour une nation d’acheter avec son argent ou avec ses produits, puisque la conséquence de ce système est la consommation sans production, c’est-à-dire la ruine ? Comment oubliez-vous que le consommateur, la société, ne profite du bon marché de ce qu’il achète, qu’autant qu’il couvre ses achats par une quantité de produits dans laquelle il a incorporé une valeur égale ?

Je vois ce qui vous préoccupe. Vous opposez l’intérêt individuel, que vous appelez production, à l’intérêt social, que vous nommez consommation ; et comme vous préférez l’intérêt du plus grand nombre à celui du plus petit, vous n’hésitez pas à immoler la production à la consommation. Votre intention est excellente, et j’en prends acte : mais j’ajoute que vous vous êtes trompé de boule, que vous avez voté blanc quand vous vouliez dire noir, que la société a été prise par vous pour l’égoïsme, et réciproquement l’égoïsme pour la société.

Supposons que, dans un pays ouvert au libre commerce, la différence des importations sur les exportations provienne d’un seul article, dont la production, si elle eût été protégée, aurait fait vivre 20,000 hommes, sur 30 millions dont se compose la nation. Dans votre système, l’intérêt particulier de ces 20,000 producteurs ne peut, ne doit pas l’emporter sur l’intérêt des 30 millions de consommateurs, et la marchandise étrangère doit être accueillie. Dans mon opinion, au contraire, elle doit être repoussée, à moins qu’elle ne puisse être soldée en produits indigènes ; et cela, non par