Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/70

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aussi je m’en étonne, mais par des motifs tout différents : c’est que l’on prenne pour une renonciation solennelle au système de la balance du commerce ce qui n’est, de la part de nos voisins, que l’application la plus large et la plus complète de ce système, et qu’on n’ait pas dénoncé à la police de l’Europe cette grande comédie anglicane, dans laquelle de prétendus théoriciens, dupes de ce côté-ci du détroit, compères de l’autre, s’efforcent de nous faire jouer le rôle de victimes.

Peuples importateurs, peuples exploités : voilà ce que savent à merveille les hommes d’état de la Grande-Bretagne, qui, ne pouvant imposer par la force des armes leurs produits à l’univers, se sont mis à creuser sous les cinq parties du monde la mine du libre commerce. Robert Peel en a lui-même fait l’aveu à la tribune. « C’est pour produire à meilleur marché, a-t-il dit, que nous réformons la loi des céréales. » Et ces paroles, citées au parlement français, ont calmé subitement parmi nous l’enthousiasme abolitionniste. Il est resté établi, de l’aveu de presque toute la presse française[1], que la réforme de Robert Peel conservait un caractère suffisamment protecteur, et n’était qu’une arme de plus dont elle voulait se servir pour fonder sa suprématie sur le marché du dehors.

Le libre commerce, c’est-à-dire le libre monopole, est la sainte-alliance des grands feudataires du capital et de l’industrie, le mortier monstre qui doit achever sur chaque point du globe l’œuvre commencée par la division du travail, les machines, la concurrence, le monopole et la police ; écraser la petite industrie, et soumettre définitivement le prolétariat. C’est la centralisation sur toute la face de la terre de ce régime de spoliation et de misère, produit spontané d’une civilisation au début, mais qui doit périr aussitôt que la civilisation aura acquis la conscience de ses lois ; c’est la propriété dans sa force et dans sa gloire. Et c’est pour amener la consommation de ce système, que tant de millions de travailleurs sont affamés, tant d’innocentes créa-

  1. Les seuls journaux qui aient essayé de combattre le ministre, le Journal des Débats, le Siècle, le Courrier français, sont précisément ceux dont la partie économique est confiée à des notabilités économistes. Tout en rendant hommage à la prudence du ministre, ils ont réservé leurs théories. Quant aux journaux démocrates, il est pénible d’avoir à rapporter qu’ils n’ont rien vu, rien compris, rien dit de tout ce qui s’est passé. Ils bivouaquaient dans les Karpathes !