Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 6.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à sa fille, Françoise eût voulu la voir retourner à Combray. Mais la nouvelle Parisienne, usant, comme une élégante, d’abréviatifs, mais vulgaires, elle disait que la semaine qu’elle devrait aller passer à Combray lui semblerait bien longue sans avoir seulement « l’Intran ». Elle voulait encore moins aller chez la sœur de Françoise dont la province était montagneuse, car « les montagnes, disait la fille de Françoise en donnant à « intéressant » un sens affreux et nouveau, ce n’est guère intéressant ». Elle ne pouvait se décider à retourner à Méséglise où « le monde est si bête », où, au marché, les commères, les « pétrousses » se découvriraient un cousinage avec elle et diraient : « Tiens, mais c’est-il pas la fille au défunt Bazireau ? » Elle aimerait mieux mourir que de retourner se fixer là-bas, « maintenant qu’elle avait goûté à la vie de Paris », et Françoise, traditionaliste, souriait pourtant avec complaisance à l’esprit d’innovation qu’incarnait la nouvelle « Parisienne » quand elle disait : « Eh bien, mère, si tu n’as pas ton jour de sortie, tu n’as qu’à m’envoyer un pneu. »

Le temps était redevenu froid. « Sortir ? pourquoi ? pour prendre la crève », disait Françoise qui aimait mieux rester à la maison pendant la semaine que sa fille, le frère et la bouchère étaient allés passer à Combray. D’ailleurs, dernière sectatrice en qui survécût obscurément la doctrine de ma tante Léonie — sachant la physique, — Françoise ajoutait en parlant de ce temps hors de saison : « C’est le restant de la colère de Dieu ! » Mais je ne répondais à ses plaintes que par un sourire plein de langueur, d’autant plus indifférent à ces prédictions que, de toutes manières, il ferait beau pour moi ; déjà je voyais briller le soleil du matin sur la colline de Fiesole, je me chauffais à ses rayons ; leur force m’obligeait à ouvrir et à fermer à demi les paupières, en souriant, et, comme des veilleuses d’albâtre, elles se remplissaient d’une lueur rose.