Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 6.djvu/66

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blancheur de son œillet ou de son plastron plissé, écartant pour faire place à leur lumière ses sourcils, ses lèvres, son frac ; d’un geste de sa main étendue qu’il abaissa sur leurs épaules, tout droit, sans bouger la tête, il commanda de se rasseoir aux monstres inférieurs qui lui faisaient place, et s’inclina profondément devant le jeune homme blond. On eût dit que la duchesse avait deviné que sa cousine dont elle raillait, disait-on, ce qu’elle appelait les exagérations (nom que de son point de vue spirituellement français et tout modéré prenaient vite la poésie et l’enthousiasme germaniques) aurait ce soir une de ces toilettes où la duchesse la trouvait « costumée », et qu’elle avait voulu lui donner une leçon de goût. Au lieu des merveilleux et doux plumages qui de la tête de la princesse descendaient jusqu’à son cou, au lieu de sa résille de coquillages et de perles, la duchesse n’avait dans les cheveux qu’une simple aigrette qui dominant son nez busqué et ses yeux à fleur de tête avait l’air de l’aigrette d’un oiseau. Son cou et ses épaules sortaient d’un flot neigeux de mousseline sur lequel venait battre un éventail en plumes de cygne, mais ensuite la robe, dont le corsage avait pour seul ornement d’innombrables paillettes soit de métal, en baguettes et en grains, soit de brillants, moulait son corps avec une précision toute britannique. Mais si différentes que les deux toilettes fussent l’une de l’autre, après que la princesse eut donné à sa cousine la chaise qu’elle occupait jusque-là, on les vit, se retournant l’une vers l’autre, s’admirer réciproquement.

Peut-être Mme de Guermantes aurait-elle le lendemain un sourire quand elle parlerait de la coiffure un peu trop compliquée de la princesse, mais certainement elle déclarerait que celle-ci n’en était pas moins ravissante et merveilleusement arrangée ; et la princesse, qui, par goût, trouvait quelque chose d’un peu