Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/108

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— Monsieur, dit Mme de Villeparisis à M. de Norpois, vous penserez tout à l’heure que vous avez quelque chose à dire au prince au sujet de l’Académie ?

Mme de Guermantes baissa les yeux, fit faire un quart de cercle à son poignet pour regarder l’heure.

— Oh ! mon Dieu ; il est temps que je dise au revoir à ma tante, si je dois encore passer chez Mme de Saint-Ferréol, et je dîne chez Mme Leroi.

Et elle se leva sans me dire adieu. Elle venait d’apercevoir Mme Swann, qui parut assez gênée de me rencontrer. Elle se rappelait sans doute qu’avant personne elle m’avait dit être convaincue de l’innocence de Dreyfus.

— Je ne veux pas que ma mère me présente à Mme Swann, me dit Saint-Loup. C’est une ancienne grue. Son mari est juif et elle nous le fait au nationalisme. Tiens, voici mon oncle Palamède.

La présence de Mme Swann avait pour moi un intérêt particulier dû à un fait qui s’était produit quelques jours auparavant, et qu’il est nécessaire de relater à cause des conséquences qu’il devait avoir beaucoup plus tard, et qu’on suivra dans leur détail quand le moment sera venu. Donc, quelques jours avant cette visite, j’en avais reçu une à laquelle je ne m’attendais guère, celle de Charles Morel, le fils, inconnu de moi, de l’ancien valet de chambre de mon grand-oncle. Ce grand-oncle (celui chez lequel j’avais vu la dame en rose) était mort l’année précédente. Son valet de chambre avait manifesté à plusieurs reprises l’intention de venir me voir ; je ne savais pas le but de sa visite, mais je l’aurais vu volontiers car j’avais appris par Françoise qu’il avait gardé un vrai culte pour la mémoire de mon oncle et faisait, à chaque occasion, le pèlerinage du cimetière. Mais obligé d’aller se soigner dans son pays, et comptant y rester longtemps, il me déléguait son fils. Je fus surpris de voir entrer un beau garçon de dix-huit ans,