Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/119

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peu flatteur certes, mais profond et utile, d’une photographie par les rayons X. Ce n’est pas une raison pour que nous nous y reconnaissions. Quelqu’un qui a l’habitude de sourire dans la glace à sa belle figure et à son beau torse, si on lui montre leur radiographie aura, devant ce chapelet osseux, indiqué comme étant une image de lui-même, le même soupçon d’une erreur que le visiteur d’une exposition qui, devant un portrait de jeune femme, lit dans le catalogue : « Dromadaire couché ». Plus tard, cet écart entre notre image selon qu’elle est dessinée par nous-même ou par autrui, je devais m’en rendre compte pour d’autres que moi, vivant béatement au milieu d’une collection de photographies qu’ils avaient tirées d’eux-mêmes tandis qu’alentour grimaçaient d’effroyables images, habituellement invisibles pour eux-mêmes, mais qui les plongeaient dans la stupeur si un hasard les leur montrait en leur disant : « C’est vous. »

Il y a quelques années j’aurais été bien heureux de dire à Mme Swann « à quel sujet » j’avais été si tendre pour M. de Norpois, puisque ce « sujet » était le désir de la connaître. Mais je ne le ressentais plus, je n’aimais plus Gilberte. D’autre part, je ne parvenais pas à identifier Mme Swann à la Dame en rose de mon enfance. Aussi je parlai de la femme qui me préoccupait en ce moment.

— Avez-vous vu tout à l’heure la duchesse de Guermantes ? demandai-je à Mme Swann.

Mais comme la duchesse ne saluait pas Mme Swann, celle-ci voulait avoir l’air de la considérer comme une personne sans intérêt et de la présence de laquelle on ne s’aperçoit même pas.

— Je ne sais pas, je n’ai pas réalisé, me répondit-elle d’un air désagréable, en employant un terme traduit de l’anglais.

J’aurais pourtant voulu avoir des renseignements non seulement sur Mme de Guermantes mais sur tous