Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/126

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qui lui étaient trop soumises, les maîtresses du duc n’étaient pas exceptées. Bientôt la duchesse se dégoûtait d’elles. Or, à ce moment aussi, la liaison du duc avec Mme d’Arpajon touchait à sa fin. Une autre maîtresse pointait.

Sans doute l’amour que M. de Guermantes avait eu successivement pour toutes recommençait un jour à se faire sentir : d’abord cet amour en mourant les léguait, comme de beaux marbres — des marbres beaux pour le duc, devenu ainsi partiellement artiste, parce qu’il les avait aimées, et était sensible maintenant à des lignes qu’il n’eût pas appréciées sans l’amour — qui juxtaposaient, dans le salon de la duchesse, leurs formes longtemps ennemies, dévorées par les jalousies et les querelles, et enfin réconciliées dans la paix de l’amitié ; puis cette amitié même était un effet de l’amour qui avait fait remarquer à M. de Guermantes, chez celles qui étaient ses maîtresses, des vertus qui existent chez tout être humain mais sont perceptibles à la seule volupté, si bien que l’ex-maîtresse, devenue « un excellent camarade » qui ferait n’importe quoi pour nous, est un cliché comme le médecin ou comme le père qui ne sont pas un médecin ou un père, mais un ami. Mais pendant une première période, la femme que M. de Guermantes commençait à délaisser se plaignait, faisait des scènes, se montrait exigeante, paraissait indiscrète, tracassière. Le duc commençait à la prendre en grippe. Alors Mme de Guermantes avait lieu de mettre en lumière les défauts vrais ou supposés d’une personne qui l’agaçait. Connue pour bonne, Mme de Guermantes recevait les téléphonages, les confidences, les larmes de la délaissée, et ne s’en plaignait pas. Elle en riait avec son mari, puis avec quelques intimes. Et croyant, par cette pitié qu’elle montrait à l’infortunée, avoir le droit d’être taquine avec elle, en sa présence même, quoique celle-ci dît, pourvu que cela pût rentrer dans le cadre du caractère ridicule que