Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Villeparisis, la présentant à quelqu’un d’autre, avait prononcé, très distinctement cette fois : « la baronne Alphonse de Rothschild ». Alors étaient entrées subitement dans les artères de Bloch et d’un seul coup tant d’idées de millions et de prestige, lesquelles eussent dû être prudemment subdivisées, qu’il avait eu comme un coup au cœur, un transport au cerveau et s’était écrié en présence de l’aimable vieille dame : « Si j’avais su ! » exclamation dont la stupidité l’avait empêché de dormir pendant huit jours. Ce mot de Bloch avait peu d’intérêt, mais je m’en souvenais comme preuve que parfois dans la vie, sous le coup d’une émotion exceptionnelle, on dit ce que l’on pense. « Je crois que Mme de Villeparisis n’est pas absolument… morale », dit la princesse de Parme, qui savait qu’on n’allait pas chez la tante de la duchesse et, par ce que celle-ci venait de dire, voyait qu’on pouvait en parler librement. Mais Mme de Guermantes ayant l’air de ne pas approuver, elle ajouta :

— Mais à ce degré-là, l’intelligence fait tout passer.

— Mais vous vous faites de ma tante l’idée qu’on s’en fait généralement, répondit la duchesse, et qui est, en somme, très fausse. C’est justement ce que me disait Mémé pas plus tard qu’hier. Elle rougit, un souvenir inconnu de moi embua ses yeux. Je fis la supposition que M. de Charlus lui avait demandé de me désinviter, comme il m’avait fait prier par Robert de ne pas aller chez elle. J’eus l’impression que la rougeur — d’ailleurs incompréhensible pour moi — qu’avait eue le duc en parlant à un moment de son frère ne pouvait pas être attribuée à la même cause : « Ma pauvre tante ! elle gardera la réputation d’une personne de l’ancien régime, d’un esprit éblouissant et d’un dévergondage effréné. Il n’y a pas d’intelligence plus bourgeoise, plus sérieuse, plus terne ; elle passera pour une protectrice des arts, ce qui veut dire qu’elle a été la maîtresse d’un grand peintre, mais il n’a jamais pu