Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/189

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M. de Bréauté était Choiseul et sa grand’mère Lucinge, je crus voir, sous la chemise banale aux simples boutons de perle, saigner dans deux globes de cristal ces augustes reliques : le cœur de Mme de Praslin et du duc de Berri ; d’autres étaient plus voluptueuses, les fins et longs cheveux de Mme Tallien ou de Mme de Sabran.

Plus instruit que sa femme de ce qu’avaient été leurs ancêtres, M. de Guermantes se trouvait posséder des souvenirs qui donnaient à sa conversation un bel air d’ancienne demeure dépourvue de chefs-d’œuvre véritables, mais pleine de tableaux authentiques, médiocres et majestueux, dont l’ensemble a grand air. Le prince d’Agrigente ayant demandé pourquoi le prince X… avait dit, en parlant du duc d’Aumale, « mon oncle », M. de Guermantes répondit : « Parce que le frère de sa mère, le duc de Wurtemberg, avait épousé une fille de Louis-Philippe. » Alors je contemplai toute une châsse, pareille à celles que peignaient Carpaccio ou Memling, depuis le premier compartiment où la princesse, aux fêtes des noces de son frère le duc d’Orléans, apparaissait habillée d’une simple robe de jardin pour témoigner de sa mauvaise humeur d’avoir vu repousser ses ambassadeurs qui étaient allés demander pour elle la main du prince de Syracuse, jusqu’au dernier où elle vient d’accoucher d’un garçon, le duc de Wurtemberg (le propre oncle du prince avec lequel je venais de dîner), dans ce château de Fantaisie, un de ces lieux aussi aristocratiques que certaines familles. Eux aussi, durant au delà d’une génération, voient se rattacher à eux plus d’une personnalité historique. Dans celui-là notamment vivent côte à côte les souvenirs de la margrave de Bayreuth, de cette autre princesse un peu fantasque (la sœur du duc d’Orléans) à qui on disait que le nom du château de son époux plaisait, du roi de Bavière, et enfin du prince X…, dont il était précisément l’adresse à