Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/80

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entrait chez les Guermantes, le visage de Mme de Villebon prenait exactement l’expression qu’il eût dû prendre si elle avait eu à réciter le vers :

 

Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là,

 

vers qui lui était du reste inconnu. Cette Courvoisier avait avalé presque tous les lundis un éclair chargé de crème à quelques pas de la comtesse G…, mais sans résultat. Et Mme de Villebon confessait en cachette qu’elle ne pouvait concevoir comment sa cousine Guermantes recevait une femme qui n’était même pas de la deuxième société, à Châteaudun. « Ce n’est vraiment pas la peine que ma cousine soit si difficile sur ses relations, c’est à se moquer du monde », concluait Mme de Villebon avec une autre expression de visage, celle-là souriante et narquoise dans le désespoir, sur laquelle un petit jeu de devinettes eût plutôt mis un autre vers que la comtesse ne connaissait naturellement pas davantage :

 

Grâce aux dieux mon malheur passe mon espérance.

 

Au reste, anticipons sur les événements en disant que la « persévérance », rime d’espérance dans le vers suivant, de Mme de Villebon à snober Mme G… ne fut pas tout à fait inutile. Aux yeux de Mme G… elle doua Mme de Villebon d’un prestige tel, d’ailleurs purement imaginaire, que, quand la fille de Mme G…, qui était la plus jolie et la plus riche des bals de l’époque, fut à marier, on s’étonna de lui voir refuser tous les ducs. C’est que sa mère, se souvenant des avanies hebdomadaires qu’elle avait essuyées rue de Grenelle en souvenir de Châteaudun, ne souhaitait véritablement qu’un mari pour sa fille : un fils Villebon.

Un seul point sur lequel Guermantes et Courvoisier se rencontraient était dans l’art, infiniment varié d’ail-