Page:Proust - Albertine disparue.djvu/252

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en demandant à venir chez moi, en m’exprimant une sympathie où des raisons intellectuelles en même temps qu’un reflet d’Albertine mettaient de la sincérité. Sans doute ce n’était pas pour cela qu’il tenait tant à venir chez moi, et il eût tout lâché pour cela. Mais cette raison dernière, qui ne faisait guère qu’élever à une sorte de paroxysme passionné les deux premières, il l’ignorait peut-être lui-même, et les deux autres existaient réellement, comme avait pu réellement exister chez Albertine ; quand elle avait voulu aller, l’après-midi de la répétition, chez Mme Verdurin, le plaisir parfaitement honnête qu’elle aurait eu à revoir des amies d’enfance qui pour elle n’étaient pas plus vicieuses qu’elle n’était pour celles-ci, à causer avec elles, à leur montrer, par sa seule présence chez les Verdurin, que la pauvre petite fille qu’elles avaient connue était maintenant invitée dans un salon marquant, le plaisir aussi qu’elle aurait peut-être eu à entendre de la musique de Vinteuil. Si tout cela était vrai, la rougeur qui était venue au visage d’Albertine quand j’avais parlé de Mlle Vinteuil venait de ce que je l’avais fait à propos de cette matinée qu’elle avait voulu me cacher à cause de ce projet de mariage que je ne devais pas savoir. Le refus d’Albertine de me jurer qu’elle n’aurait eu aucun plaisir à revoir à cette matinée Mlle Vinteuil avait à ce moment-là augmenté mon tourment, fortifié mes soupçons, mais me prouvait rétrospectivement qu’elle avait tenu à être sincère, et même pour une chose innocente, peut-être justement parce que c’était une chose innocente. Il restait ce qu’Andrée m’avait dit sur ses relations avec Albertine. Peut-être pourtant, même sans aller jusqu’à croire qu’Andrée les inventait entièrement pour que je ne fusse pas heureux et ne pusse pas me croire supérieur à elle, pouvais-je encore supposer qu’elle avait un peu exagéré ce qu’elle faisait avec Albertine, et qu’Albertine, par restriction mentale, diminuait aussi un peu ce qu’elle